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la direction d’un autre. Singulière destinée que celle-là! Il était dit que rien ne serait stable dans sa vie. Nous le verrons plus tard allant de Londres à Bordeaux, de Bordeaux à Madère, de Madère à Naples, fouillant tous les coins et recoins de l’Angleterre pour y trouver un lieu où il puisse goûter la paix et recouvrer la santé. Dès l’enfance, l’esprit aventureux de son père l’oblige à changer de résidences et de précepteurs. Son esprit était aussi mobile et sujet au changement que sa vie; c’était un esprit rapide, prompt, facile, ayant beaucoup des qualités d’improvisateur de son père, incapable de laisser le lent travail de la pensée concentrer en lui les forces de l’imagination, «un esprit, dit Carlyle, qui brillait comme un éclair sans jamais pouvoir arriver à faire gronder le tonnerre. » Ses sentimens étaient également rapides, doux, sans grande profondeur. C’était un homme aimable, manquant un peu de force et de caractère; un certain nomadisme enveloppe sa vie tout entière, la dirige et la pousse où il lui plaît, et son éducation première y est probablement pour quelque chose. Ses études brillantes manquèrent ainsi de méthode, de discipline et d’unité. « Sterling, dit M. Hare, qui avait été son maître, ne fut jamais un scholar dans le sens véritable du mot; il n’était ni un philologue, ni un archéologue, ni un érudit, » mais il rachetait ces défauts par une compréhension intelligente de l’antiquité. Il avait à un certain degré le sentiment de la vie antique, et il l’a reproduit dans quelques-uns de ses écrits avec grâce et douceur. Certains de ses essais, Cydon, le Peintre lycien, entre autres, ont une certaine tournure classique fraîche et rose, mais qui manque de la robuste santé antique. Les bruits de la vie contemporaine envahissaient plus qu’il n’eût été nécessaire cette existence qui aurait dû être paisible. Encore un des caractères de l’éducation de ce temps-ci ! Livres et journaux modernes étaient dévorés par le jeune écolier, qui avait lu déjà, à une époque assez précoce, toute la Revue d’Edimbourg, étrange lecture pour un écolier ! A Cambridge, où il se rencontra avec plusieurs jeunes gens qui devaient devenir célèbres plus tard, les débats étaient fréquens entre les jeunes amis sur les affaires politiques et même ecclésiastiques, et un certain radicalisme était alors l’esprit régnant dans l’université de Cambridge, comme partout en Europe, durant ces années pleines d’espérance et d’enchantement de la restauration, où le monde entier se mit à croire au règne prochain de l’âge d’or, et qui n’ont de ressemblance qu’avec les premières années, pleines d’espérance aussi, du règne de Louis XVI. Sterling respira donc l’air de son temps; il avait embrassé avec ardeur déjà les espérances du libéralisme, soufflant alors sur le monde, lorsqu’il quitta l’université en 1827.

Le voilà libre désormais de s’élancer dans la carrière : quelle direction va-t-il prendre? C’est un problème des plus ardus dans notre