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biographie est donc vraie. Il en a fait maintes fois les plus belles applications, et tout récemment encore dans la Vie de Sterling.

Sterling, en mourant, après avoir trié ses papiers et en avoir brûlé beaucoup, confia le soin de la publication à deux de ses amis, Thomas Carlyle et l’archidiacre Charles Hare, recteur d’Herstmonceux, membre de l’église anglicane, un des premiers maîtres de Sterling et un de ses amis les plus dévoués. Après les conférences et les négociations ordinaires dans ces sortes d’affaires littéraires, Carlyle laissa le soin de l’édition à l’archidiacre Hare, qui, en 1848, publia, sous le titre de Contes et Essais de John Sterling, deux volumes considérables, édités avec soin. La Vie de Sterling, écrite par son éditeur et placée en tête du premier volume, est un excellent travail littéraire; mais, en sa qualité de membre de l’église, l’archidiacre Hare, ainsi que cela est trop fréquent chez tous les ecclésiastiques, s’est cru obligé d’appuyer très vivement sur l’inorthodoxie de Sterling, qui était pourtant chrétien, et de réfuter longuement quelques-unes de ses opinions religieuses. Il a donné à ses quelques assertions théologiques, erronées ou non, l’importance d’une erreur capitale, si bien que la vie de Sterling, racontée par l’archidiacre Hare, paraît n’avoir été remplie que de disputes théologiques. C’est là le second motif qui a déterminé Carlyle à prendre la plume et à présenter lui-même au public la vie de son ami. Il a eu raison, quoi qu’en aient dit certains critiques, et il n’a pas eu besoin, comme on l’a prétendu, de se transformer en athée pour soutenir la mémoire de Sterling. Le monde est plein, à l’heure qu’il est, de gens intolérans qui veulent nous forcer à croire plus que nous ne pouvons, et qui préféreraient une hypocrisie à un doute honnêtement exprimé. C’est là où nous en sommes arrivés, à la suite d’actions et de réactions successives. Bien heureux, dans notre siècle, est celui qui croira à quelque chose! il n’a pas besoin d’être tourmenté ni forcé pour accepter les choses auxquelles il ne peut pas croire. Exprimer franchement tout ce que la conscience nous fait un devoir d’exprimer, voilà notre première obligation morale, l’exprimer avec précision, sans mettre de faux poids dans la balance pour la faire pencher. Se taire sur les choses qu’on ne peut se résoudre à accepter, cela peut être quelquefois un devoir de prudence et une marque de respect; mais quelquefois aussi cela peut être une lâcheté. Disons donc toujours ce que nous pensons, sans insolence et sans orgueil, modestement et fermement; n’y ajoutons pas, n’y retranchons rien; mais malheur à celui qui vient affecter des sentimens qu’il n’a pas, et honte à celui qui voudra nous forcer à en affecter d’autres que ceux que nous avons! De toutes les formes du mensonge, celle-là est la plus désastreuse.

Il y a une troisième raison que Carlyle ne dit pas et qui probablement l’aura déterminé encore à écrire la Vie de Sterling. Il avait