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amène son cheval et le donne à son chef. Au même instant, les zouaves arrivent; l’aspect du combat change aussitôt. — « En avant! en avant! » La sonnerie commande la charge, les spahis reprennent l’élan et suivent leurs officiers au gros de la mêlée; les zouaves les appuient en courant, et les Arabes se dispersent comme des sauterelles chassées par le vent.

Le lieutenant-colonel Canrobert, ralliant toutes les troupes, reprit la direction de la colonne. Morts et blessés se faisaient contrepoids sur les cacolets, et les chasseurs d’Orléans protégeaient l’arrière-garde avec leurs grosses carabines. Un groupe de cavaliers qui se tenait à petite distance reçut une de leurs décharges : il tourbillonna et disparut. Le soir, un transfuge apprenait aux chasseurs que le Bou-Maza lui-même avait le bras cassé et citait le nom des gens de marque atteints par nos balles, percés par le sabre des spahis.

Les colonnes se portaient un mutuel secours, réunissant par momens leurs forces pour frapper un coup décisif, achever de rompre le faisceau, ramener la tranquillité. La fin de mars, le mois d’avril tout entier et le commencement de mai furent ainsi employés à des marches sans fin, à des surprises, à des combats. — Dans les courses de taureaux, quand on veut appeler l’attention de l’animal en fureur sur un nouvel assaillant, on agite devant ses yeux un manteau rouge qui a le don d’irriter sa colère. Tel fut souvent à cette époque le rôle rempli par les troupes de Tenez; plusieurs fois elles durent attirer l’effort de l’ennemi pour donner le temps aux autres colonnes d’opérer leurs mouvemens d’ensemble. Le lieutenant-colonel Canrobert s’acquittait toujours avec bonheur de ces périlleuses missions. Admirablement renseigné, il ne perdait ni une heure, ni une occasion, et la rapidité de sa décision, les ressources de son esprit, tiraient parti des difficultés mêmes. Vers la fin d’avril, il en donna une preuve nouvelle. La petite colonne s’était avancée dans la direction des troupes de Mostaganem ; mais le général Pélissier, retenu chez les Beni-Zeroual, manqua au rendez-vous, et, au lieu de soldats amis, le lieutenant-colonel trouva sur l’Oued-Tancer toutes les forces des révoltés. Son camp avait été vigoureusement attaqué; tout annonçait que les montagnards étaient disposés à une lutte ardente. Il fallait mettre à profit leur audace. Le lieutenant-colonel Canrobert prit aussitôt la résolution de se défendre de façon à redoubler leur confiance. Pendant ce temps, le colonel de Saint-Arnaud, qui se trouvait à huit lieues de là, serait prévenu, et, une fois les troupes d’Orléansville à bonne portée, le lieutenant-colonel commencerait à se retirer lentement, excitant encore l’ennemi par sa marche rétrograde, jusqu’au moment où, faisant demi-tour, il rejetterait brusquement les Kabyles sur la cavalerie d’Orléansville, comme