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les douars restés fidèles, quittant le fusil, ils prenaient parfois la truelle, et, redevenus travailleurs, on les voyait construire les abris qui devaient sauvegarder nos alliés quand ils seraient forcés de s’éloigner et de les laisser à leurs seules forces. A Saardoun, le 23 février, capotes et tuniques étaient mises bas, et la colonne entière en manches de chemise, remuant de grosses pierres, élevant une large muraille, présentait l’aspect d’une troupe de maçons limousins. Saardoun est, en effet, une des positions les plus sûres du Dahra. A droite et à gauche, les berges inaccessibles de deux ravins garantissent ce lieu contre toute attaque. Une seule issue était ouverte à l’ennemi : un mur de plus de 500 mètres de développement allait la lui fermer. Officiers et sous-officiers surveillaient les travaux, encourageant les soldats. Ceux-ci n’en avaient pas besoin, car l’ardeur était si grande, qu’en trois jours cette nouvelle muraille de la Chine était achevée. Oh! les vaillans soldats que ces hommes façonnés par l’Afrique! Ils sont bons à tout, rien ne leur est impossible, et jamais on n’entendit ni une plainte, ni un murmure durant ces courses continuelles si pénibles de la fin de février et du commencement de mars.

Il fallut bien encore pourtant rentrer à Tenez, chercher des vêtemens de rechange, remplacer les souliers usés, radouber en quelque sorte la colonne. Cela fait, on rejoignit en toute hâte le colonel de Saint-Arnaud. Le 15 mars, laissant le camp établi à Sidi-Yousef sous la garde des malingres et d’un bataillon du 58e de ligne, le colonel se portait chez les Madiounas, toujours prêts à la révolte. Durant la marche, comme l’on arrivait à la vallée de l’Oued-Morglas, le colonel de Saint-Arnaud donna l’ordre au lieutenant-colonel Canrobert de suivre les crêtes qui bordaient la rive gauche du petit ruisseau, pendant que le capitaine Fleury, avec son escadron de spahis et soixante chevaux du 5e chasseurs de France, prendrait le milieu de la vallée, prêt à sabrer les Kabyles que les zouaves lui rejetteraient. Quant au gros de la colonne, il suivait avec le colonel de Saint-Arnaud. A l’extrémité de la vallée, la cavalerie, formant un arc de cercle, devait se rabattre vers les zouaves, à la hauteur d’un plateau rocheux indiqué d’avance.

Le capitaine Fleury s’avançait avec une grande prudence; quelques spahis des mieux montés sondaient, à deux cents pas en avant, tous les replis de terrain, car en Afrique, à chaque moment, on est exposé à voir l’ennemi surgir de terre. Dans la plaine qui paraît la plus unie à l’œil, les eaux creusent souvent des ravines profondes, abris pleins de sûreté. Là s’établissent, comme des oiseaux de proie, les cavaliers ennemis prêts à profiter de la moindre négligence. Malgré ce danger des attaques imprévues, les chefs de colonne sont obligés de lancer souvent au loin, sans point d’appui, leurs reconnaissances