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en large le fusil au bras. C’est ainsi qu’au Cirque des boulevards les pièces militaires nous les représentent; mais, en Afrique, les grand’gardes de nuit ne ressemblent guère à cela : on n’y dort pas, chacun veille. Si la pluie tombe, si le vent du nord souffle et glace, point de feu pour réchauffer les membres fatigués par la marche du jour: la flamme trahirait le poste; il faut veiller toujours près de ses armes, et ceux qui sont en faction, accroupis dans les buissons, guettent du regard le moindre indice, tendent l’oreille au moindre bruit, chassant le sommeil qui alourdit la paupière. Le salut de tous peut en dépendre. Bien mieux, si l’ennemi attaque, vous ne devez pas tirer; la baïonnette est au bout du fusil pour la défense; point de fausses alertes; à tout prix, ne troublez pas le sommeil du bivouac. Tel est le point d’honneur. C’est ce que savait bien le sergent du 64, qui, cette nuit-là, commandait un poste avancé. — Une colonne kabyle se glisse le long d’une pente boisée pour enlever le petit poste. La sentinelle se replie en rampant et la dénonce. Le sergent ne veut en croire que ses propres yeux, car la nuit les objets semblent parfois grandir, le soldat aurait pu s’effrayer. Il voit que sa troupe est trop faible pour résister. Aussitôt il donne l’ordre de se retirer, et gagne un point de bonne défense à cinquante pas de là. L’ennemi arrive, croit le poste abandonné et s’établit tranquillement. Le sergent alors revient brusquement, charge à la baïonnette comme s’il eût eu avec lui les forces du camp; les Kabyles se sauvent dans toutes les directions, le laissant maître du piton confié à sa garde.

Les Beni-Hidja commençaient à recevoir le châtiment de leur révolte, lorsqu’il fallut se rapprocher de Tenez. Le Bou-Maza venait de pénétrer dans le Dahra, et le colonel devait, tout en assurant la sécurité de plusieurs convois destinés à l’approvisionnement d’Orléansville, se tenir prêt à se porter dans la direction où le Bou-Maza rendrait sa présence nécessaire. La mauvaise saison vint alors ajouter de nouvelles souffrances aux fatigues des marches incessantes. Dans toute l’Algérie, les premiers jours de janvier 1846 furent marqués par des temps affreux. Tandis qu’à Sétif huit cents hommes périssaient dans la neige, plus d’un soldat eut les pieds gelés dans la province d’Oran. La petite colonne de Tenez prit aussi sa part de ces misères, et le 6 janvier, comme elle était en marche, un brouillard épais l’enveloppa tout entière; l’on avançait ainsi en pays ennemi, à travers un terrain coupé de ravines et de bois épais, transi par les rafales de vent et de pluie qui se succédaient à chaque moment. Toutes les dix minutes, le clairon qui marchait en tête sonnait, et les clairons et les tambours de chaque corps répétaient successivement en terminant la sonnerie par le refrain du régiment. L’on s’assurait ainsi que la colonne s’avançait en