Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le sujet de l’opéra de M. Adolphe Adam est tiré des Mille et une Nuits, et la scène se passe naturellement dans l’Inde. Il s’agit d’un pauvre pêcheur nommé Zéphoris, qui a eu le bonheur de sauver une femme dont il ignore le nom, mais qu’il aime éperdument et sans espoir, depuis qu’on lui a dit que c’était une noble et très belle princesse. Il ne rêve plus qu’à sa belle et puissante inconnue, et, en s’endormant aux bords de la mer, il trace sur le sable ces mots qui remplissent son cœur : Ah ! si j’étais roi ! Que ferait-il s’il était roi ? dit le véritable roi de l’Inde, qui, en se promenant avec sa cousine Nemea, lit ces mots tracés sur le sable à côté de Zéphoris endormi. Aussitôt le roi, qui est assez bon prince et d’humeur joyeuse, conçoit l’heureuse idée de réaliser au moins pendant un jour le rêve inespéré du pauvre pêcheur. Il ordonne à son médecin de lui administrer un narcotique qui prolonge son sommeil et le fait transporter dans sa résidence royale. Zéphoris se réveille au second acte dans un palais enchanté rempli d’esclaves et de grands seigneurs, et où tout le monde s’efforce de lui faire accroire qu’il est le maître tout-puissant. Il hésite bien un peu au commencement, puis il finit par prendre au sérieux la comédie qui se joue autour de lui et ne s’acquitta pas trop mal de sa courte royauté. Après un réveil douloureux, le pécheur Zéphoris épouse enfin la belle princesse Nemea à qui il a sauvé la vie, et qui n’est rien moins que la propre cousine du roi. Ce canevas dramatique ne manquerait pas d’intérêt, si le premier et le troisième actes ressemblaient au second, dont la mise en scène est piquante. La nouvelle partition en trois actes que M. Adam a laissé tomber de sa plume trop facile ajoutera-t-elle beaucoup à la renommée que s’est acquise depuis long-temps ce spirituel compositeur ? Nous ne le croyons pas. Que M. Adam nous permette de lui dire qu’il est dans une fausse route, et que, malgré son esprit et sa dextérité de main, on n’improvise pas une œuvre durable comme on improvise un feuilleton, si tant est qu’on puisse improviser un bon feuilleton, qui renferme quelques vérités utiles. Si nous avions besoin de choisir un fait entre mille qui prouve l’altération des mœurs et l’oubli des plus simples convenances qui caractérise notre temps, nous signalerions l’exemple d’un compositeur distingué, d’un grave professeur du Conservatoire, d’un membre de l’Institut, qui descend chaque jour dans l’arène pour discuter des intérêts où il est juge et partie. La critique impartiale et élevée, qui applique les lois immuables de l’esprit humain aux œuvres contemporaines, est incompatible avec le rôle actif d’un peintre, d’un musicien, d’un artiste quelconque qui a besoin de conquérir les suffrages du public. De deux choses l’une : ou vous êtes condamné à parler contre vos convictions les plus intimes, ou vous serez obligé de louer des œuvres qui excitent l’admiration des vrais connaisseurs, et alors on peut vous dire : Pourquoi donc n’ajoutez-vous pas l’exemple au précepte ? Non, la critique doit être impersonnelle et n’avoir rien à démêler avec les intérêts de ceux qui ressortent de sa juridiction ; et, si elle n’est pas la manifestation des principes vrais dans tous les temps et dans tous les lieux, elle ne mérite que le dédain des bons esprits. Nous nous garderons bien d’analyser le nouvel opéra de M. Adam ; il nous suffira de faire remarquer que le petit air que chante le pêcheur Zéphoris au premier acte est la reproduction exacte d’une mélodie très connue qu’on appelle l’Ange déchu de M. Vogel ; que la seconde romance que chante ce même Zéphoris appartient