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aux débris romains, On peut dire qu’ils foisonnent, surtout dans la province de Constantine ; camps de légions, postes militaires, arcs de triomphe, barrages, aqueducs, citernes, routes où la pierre durcie comme les molécules du fer laisse à peine pénétrer la pointe d’une épée, murs indestructibles comme ceux de Constantine, sur lesquels rebondissent les boulets impuissans ; temples et tombeaux, tous les monumens de la guerre et de la paix, tous les témoignages de la grandeur et du néant de l’homme sont là réunis, les uns sous la terre, les autres debout et dessinant encore leur vive arête sur l’azur foncé du ciel. Ces ruines, on le sent à chaque page dans les livres de ceux qui les ont étudiées, ont produit sur les esprits une impression profonde. En même temps qu’elles semblaient dire aux Arabes que leurs aïeux avaient eu des maîtres venus comme nous d’une autre terre, elles disaient aussi aux nouveaux conquérans que Tacfarinas et Jugurtha n’étaient pas invincibles. Aussi l’émulation des recherches s’est-elle éveillée sur tous les points, en France comme en Afrique, dans l’armée comme dans le académies.

En même temps le gouvernement organisait avec l’aide d’une commission académique une exploration scientifique de l’Algérie, on voyait se former à Paris une société française pour l’étude des antiquités de l’Afrique septentrionale. Au moment de l’expédition de Constantine, M. Dureau de La Malle, pour suppléer à l’insuffisance des enseignemens topographiques, dressait, à l’aide des historiens et des géographes de l’antiquité, la carte de la campagne qui allait s’ouvrir. M. Letronne indiquait, des salles de l’institut, des villes ensevelies et oubliées à ceux qui partaient pour l’Afrique, et, d’après les dessins de M. Hardy, alors sergent du génie, il publiait son beau mémoire sur l’ancienne Thévesta, aujourd’hui Thebsa, cette ville dont l’Arabe Léon l’Africain, dans le XVIe siècle, comparait les ruines aux ruines les plus imposantes de Rome. En Afrique même, les recherches ont été pour ainsi dire incessantes : il suffit de rappeler les beaux travaux de M. Carette, qui a si bien fait marcher de front l’étude comparée de l’Afrique ancienne et moderne ; les recherches de M. E. Pellisier, consul de France à Tunis ; les importantes découvertes archéologiques de M. le commandant de La Mare, consignées dans l’Exploration scientifique de l’Algérie. Au milieu de cette invasion de la science, chacun s’est emparé d’une province, d’une ville ou d’une ruine. M. de Caussade, chef de bataillon au 15e léger, a donné en 1851 une curieuse notice sur les traces de l’occupation romaine dans la province d’Alger, en joignant à son texte une carte des routes, des villes et des postes fortifiés de cette même province sous la domination des empereurs. Ces routes, admirablement entendues sous le rapport de la défense et de la facilité des communications, embrassaient toute la province comme dans un cadre, en suivant d’un côté les pentes de l’Atlas, et de l’autre les côtes. Entre ces deux lignes, à égale distance à peu près de la mer et des montagnes, c’est-à-dire au centre même du TeIl, courait une route parallèle aux deux premières et reliée avec elles, de distance en distance, par des embranchemens qui coupaient le pays dans sa plus grande largeur. La carte de M. de Caussade fait parfaitement comprendre le système d’occupation des Romains, système à la fois audacieux et prudent, où tous les points stratégiques sont soigneusement gardés, où, tout en avançant à de grandes distances à travers de vastes solitudes et des pays inconnus, les communications