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établis à Oran, à Bone, à Philippeville, à Constantine, et la cour d’appel d’Alger, connaissent de tous les crimes, délits et contraventions, quelles que soient la nationalité et la religion des inculpés, sous la réserve toutefois que les musulmans restent soumis à la juridiction des cadis pour les infractions qui, d’après la loi française, ne constituent ni crime, ni délit, ni contravention. En d’autres termes, ces tribunaux ont exactement sur les Européens et les Africains la même juridiction que nos cours d’assises. Grace à la sévérité de la répression, à l’active surveillance des agens chargés de maintenir l’ordre et la sécurité, il est rare que des faits coupables restent impunis.

Quand on songe aux élémens hétérogènes qui constituent la population de l’Algérie, à la haine traditionnelle des musulmans contre les chrétiens, à l’âpreté native des indigènes, aux rancunes que produisent inévitablement la guerre et la défaite, on peut croire que les délits et crimes ont été nombreux, même en tenant compte des limites restreintes dans lesquelles s’exerce la juridiction des tribunaux dont : nous venons de parler et en laissant de côté les conseils de guerre. Eh bien ! sous ce rapport, le résultat est tout-à-fait inattendu, et prouve jusqu’à l’évidence, que, dans les territoires civils ou les territoires mixtes de l’Algérie, c’est-à-dire sur les points où la population européenne est mêlée à la population arabe, on peut vivre avec autant de sécurité que dans le plus paisible de nos départemens français. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur le tableau des causes portées devant les tribunaux de l’Afrique, On trouve en effet, en 1846, cent soixante-neuf affaires criminelles ; en 1847, cent quatre-vingt-une ; en 1848, cent quatre-vingt-seize ; en 1849, cent quatre-vingts. Sur ce nombre, les attentats contre les personnes sont de beaucoup les moins nombreux, et la moyenne, des meurtres, des empoisonnemens, des infanticides, est, pour toute l’Algérie, de quatorze par année. C’est trop sans doute, comparativement à la population, mais c’est beaucoup moins qu’à Paris. Nous remarquerons en outre que le nombre des accusés européens a considérablement diminué dans ces dernières années, ce qui prouve d’une part que la population coloniale tend de plus en plus à se moraliser par le travail, et de l’autre que le personnel de l’émigration tend également à s’améliorer. Ici encore il y a progrès dans le bien ; ce seul fait est de nature à faire réfléchir ceux qui, s’inspirant exclusivement des vieux préjugés, sont habitués à ne voir dans les établissemens coloniaux qu’une voie ouverte à l’épuration des métropoles. C’est là, ce nous semble, une erreur très grave, du moins en ce qui touche la France ; tout ce qu’il y a d’impur et de taré dans notre société vieillie ne s’expatrie pas, mais afflue de préférence dans les grandes villes, et ce n’est point là, comme on l’a cru long-temps, qu’il faut chercher des colons, mais parmi les travailleurs des campagnes, qui représentent en ce moment même, en Algérie, avec les militaires retirés du service, la portion la plus énergique, la plus morale et la plus laborieuse de l’émigration.

La partie exclusivement relative aux populations indigènes offre, à la fin du volume, sous le titre d’Appendice, le résumé complet de la situation administrative et sociale des tribus, et, dans ce résumé d’une précision et d’une lucidité remarquables, on ; peut suivre jour par jour tous les progrès de cette patiente organisation, moitié civile, moitié militaire, arabe et française tout