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Et aymer une mignonnette,
Et qu’elle, et moy nous ouyssons.
Près de nous chanter les pinçons,.
Le roussignol et l’alouette ;
Et d’escus la pleine bougette.

C’est aussi le dernier amour : le vieil hiver s’avance : il a chassé ce dernier rayon de soleil qui semblait vouloir ressusciter les feuilles mortes. Faute-d’Argent a repris son empire ; il pourchasse durement tous ces échos de la jeunesse :

Fleurs, femme, fruyt, ne plaisante verdure,
Ne me scauroyent nullement ressouyr,
Faulte-d’Argent me fait esvanouyr.

La maladie est revenue. Il fait grand froid, et il est « tondu de près comme la brebiette ; » les années se succèdent ; la vieillesse arrive ; la misère a suivi les années : Povreté l’a couvé. Enfin s’éveille en lui la plus haute pensée de toute sa vie, la pensée de Dieu, qui va se développer parmi les repentirs de sa vieillesse : c’est cette grande pensée du Dieu sévère et consolateur en même temps qui constitue la grande différence entre le bohême descendant du moyen-âge et toute la couvée de bohêmes que contient l’avenir. C’est ici seulement que nous pouvons comprendre la vie de Roger de Collerye, et que nous trouvons l’explication de cette gaieté que rien ne refroidit, de ces longues souffrances endurées sans désespoir ; c’est ici que Dieu apparaît, et c’est Dieu qui est la raison de cette énergie morale. Les trouvères peuvent souffrir ; mais le venin de la douleur, cette amère chose qui constitue l’aiguillon de la mort sur cette terre, n’existe que rarement dans le moyen-âge. Ils peuvent souffrir, et ils souffrent par les amours trompés et les amitiés fausses, par la pauvreté implacable et l’insuccès continu, par leurs crimes surtout et leurs passions satisfaites ; mais au-dessus de tout cela il y a Dieu, le Dieu de la foi catholique, le plus doux, ami et le plus fidèle amour ; ils sentent ses bras aimans toujours suspendus sous leur cœur pour l’empêcher de tomber dans le désespoir. Parfois, après l’orgie même, ils tournent vers lui leurs yeux effrayés du vide et de l’âcreté de ces passions qu’ils viennent de satisfaire, et ils voient toujours sa divine figure attristée, mais aimante. Celui-là est fidèle, il est puissant, et ils se disent, avec l’égoïsme de l’espérance, que ce cœur leur sera toujours ouvert, et cette consolation toujours obéissante. C’est assurément un égoïsme effrayant que de compter sur la grandeur de l’amour pour commettre l’infidélité ; mais la bonté de Dieu est plus grande que la méchanceté de l’homme. Le moyen-âge le croyait et le savait. Ainsi le prouve l’Imitation, cette éternelle consolation qui est l’œuvre et le résumé de la foi du moyen-âge.

La vieillesse était donc venue pour Roger de Collerye, la vieillesse dans la solitude, la souffrance et la pauvreté ; mais en même temps il avait tourné vers Dieu son visage ridé et lui demandait presque gaiement encore les secours que les durs protecteurs de ce monde ne lui avaient point donnés :