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seconde. Le duc Antoine était un prince bonhomme, débonnaire, sage et courageux à la façon de Louis XII, fort affriandé de proverbes et grand amateur de maximes ; Gringore développa près de lui le côté penseur de sa nature, et dans ses derniers ouvrages on retrouve encore ce même parallélisme entre l’imagination et la raison que nous avons signalé comme le point original de sa vie littéraire.

Après ces deux grands poètes, Villon et Gringore, viennent à la tête de l’école Pierre Blanchet, Commines, Antoine de La Salle, Clément Marot, Guillaume Coquillart et Roger de Collerye.

Pierre Blanchet, le père de la comédie moderne, ne nous est connu que par son Avocat Pathelin ; pourtant Jean Bouchet indique qu’il composa plusieurs sotties et mystères. Peut-être est-ce un bonheur pour sa gloire que ces pièces ne nous soient point parvenues : l’Avocat Pathelin paraît une de ces bonnes fortunes littéraires, une de ces inspirations que le poète trouve par hasard, à la bonne heure, sans recherche pénible, et qui le portent à une hauteur où il n’avait jamais pu atteindre, et d’où il ne pourra que descendre. C’est une de ces délicates œuvres, d’une perfection simple et naturelle, qui sortent, comme toutes fleuries, de la pensée, à la suite de quelque mystérieux travail intérieur. Pierre Blanchet reste pour nous le type pur, délicat et fini de la seconde manière de l’esprit français. La première manière contenait une certaine teinte d’idéalisme gracieusement simple et tendre qui disparaît avec la jeunesse du moyen-âge pour laisser place à une sorte de finesse délicate aussi, mais purement matérielle, montrant l’extrémité des objets sans s’y appesantir, et indiquant, en les effleurant à peine, les pointes originales d’un caractère, d’une passion, d’un ridicule étudiés. Au XVe siècle, cet idéalisme, qui distinguait l’esprit français de l’esprit athénien, avait disparu ; il ne restait plus que cette sorte d’atticisme moderne dont l’Avocat Pathelin est le parfait modèle, et qui deviendra rare dans la littérature postérieure sans jamais disparaître de la conversation. Le style épistolaire, moins soumis à la littérature officielle, en gardera aussi de nombreuses traces, mais jamais avec ce cachet de délicatesse exquise, de simplicité, de grace souple qui apparaît en Pierre Blanchet, surtout par opposition avec la brutalité matérielle dont il est entouré.

Commines et Antoine de La Salle, auteur de l’Hystoyre du petit Jehan de Saintré, des Quinze Joyes du mariage, et rédacteur des Cent Nouvelles nouvelles, avaient eu de nombreuses relations avec la cour de Bourgogne ; mais ils avaient échappé à l’école savante : le premier par la finesse pratique de son esprit, l’activité de sa vie et son ignorance du latin ; le second, par sa destinée voyageuse, mais surtout par les nécessités du genre qu’il traitait, par la forme traditionnelle du conte.

C’est par sa finesse naïve, sa grace simple et la gentillesse de son esprit, que Marot appartient à l’école trouvère. Il est le plus connu de tous ces poètes, à tort selon moi, et c’est incontestablement à sa position qu’il doit sa gloire. Il a eu la bonne fortune de se trouver à l’extrême limite du moyen-âge, et de joindre à un style presque moderne des qualités développées à un degré plus éminent dans plusieurs écrivains antérieurs, mais dont il est presque le dernier représentant. Il a donc paru original, parce que ses qualités, propres