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esprits aventureux, assez de frayeurs aux esprits paisibles, pour que les uns et les autres s’inquiétassent peu du grand, combat que les Epistoles de Cicéron livraient sournoisement aux douze pairs de Charlemagne.

C’est seulement au milieu du XVe siècle, que commence la lutte à mort, et c’est alors, que, toutes les circonstances politiques favorables au latin se succèdent. Les races barbares se sont concentrées, en une société régulière ; la civilisation chasse, la foi ; le temps a fatigué cette jeunesse des premiers âges ; la gravité, de l’âge mûr alourdit la verve du sang barbare, et la naïveté de la littérature, devenue formule de rhétorique, n’est plus soutenue, par la naïveté des mœurs, l’imprimerie, qui vient d’être inventé augmente le nombre des savans, et met en circulation toutes les richesses latines. Jusque-là la littérature française, avait été une littérature parlée, c’est-à-dire populaire ; l’imprimerie va en faire une littérature écrite, c’est-à-dire savante ; la langue ne sera plus faite par l’usage, par le peuple ; elle doit entrer maintenant plus souvent dans les livres ; il lui faut la régularité, les érudits, le latin et le grec, types des langues faites et régulières. La paix intérieure plus fréquente va donner plus de loisir à la pensée, protéger la réflexion aux dépens de l’inspiration, et cette réflexion se portera sur les manuscrits latins qu’on découvre en tous lieux, sur cette merveille de l’art humain, la littérature grecque, qui se répand par toute l’Europe après la prise de Constantinople ; puis, comme si ce n’était pas assez de tous ces hasards, pour tuer l’originalité trouvère, voici encore les vieil les ennemies, les influences méridionales que les évènemens rendent plus dangereuses que jamais. Toute la noblesse court aux guerres d’Italie, les écrivains la suivent comme ils suivent toute splendeur glorieuse, tout luxe rémunérateur ; ils en ramèneront l’italien et le provençal, langues filles du latin, et ces langues, déjà façonnées au monde moderne, sauront, s’introduire au foyer domestique du génie français plus facilement que le latin, langue antiques et païenne, qu’elles entraîneront à leur suite et comme par gradation. Enfin va, vernir la réforme, et ce sera la plus utile alliée des savans ; elle donnera naissance aux luttes générales de la pensée, et, comme ces luttes porteront sur des sujets importans pour tous, elles rendront ; plus forte la nécessité d’une langue commune, le latin, et pousseront un plus grand nombre d’hommes vers la science.

C’était à l’aide de tous ces événemens que l’école savante, dès le milieu du XVe siècle, cherchait à étouffer l’originalité de la littérature nationale. Elle avait, comme toutes les écoles savantes, l’admiration du grand nombre, l’esprit de secte et de camaraderie, et une merveilleuse entente de la louange réciproque. Comme toutes les écoles qui sont protégées par les instincts nouveaux de leur époque, elle était grandement honorée, c’était une vraie littérature de, cour, et elle attirait à elle toutes les joies et splendeurs de la gloire littéraire, toutes les récompenses qui caressent les écrivains aimés. C’était donc de son côté, que se tournait tout ce qui était grave et élevé, les érudits, poètes de cour, abbés, grands seigneurs, historiographes du roi. Au premier rang de ces écrivains nous trouvons, maistre Guillaume Crestin, l’oracle de toute élégance, le grand-prêtre des vers équivoqués ; Jean Molinet, Jean Lemaire de Belges, historiographes de la cour de Bourgogne, types excellens de la bourgeoisie flamande enivrée de grâces poétiques ; messire George de Chastellain,