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elles voient que la rue est déserte, elles se permettent de relever leur masque, afin de respirer plus à l’aise ; mais elles le ramènent sur leur visage dès qu’elles aperçoivent un homme, fût-ce leur mari. Un jour, au moment où je passais près d’une femme qui, à ce qu’il parait, n’avait pas baissé la grille assez tôt, j’entendis un fanatique l’apostropher rudement. Cet homme, qui ne la connaissait en aucune façon, lui reprochait en termes violens la faute qu’elle avait commise et lui faisait honte de son impudeur, qu’aggravait encore aux yeux du dévot musulman ma qualité de chrétien. Tous les tchaders se ressemblent, et aux yeux d’un Européen toutes les’ tournures paraissent, r peu de chose près ; les mêmes. Cependant des Persans qu’il leur était très facile de distinguer les femmes de leur connaissance.

L’impossibilité de voir une femme sans l’intervention officieuse et la complaisance d’un Persan exempt de préjugés me faisait donc désirer vivement de profiter des bonnes graces du prince Maleh-Kassem-Mirza. Je lui avouai ma curiosité avec une confiance qui le fit sourire. Après y avoir un instant réfléchi, il prit l’engagement de me satisfaire. Deux ou trois jours se passèrent sans que j’osasse renouveler ma demande ; d’ailleurs l’air de bonne foi avec lequel le châhzâdêh y avait répondu me donnait tout lieu de croire qu’il y pensait. En effet, je reçus un soir un message du prince qui m’invitait à aller souper avec lui. Son médecin, vieux Frengui à barbe blanche, dont la science nous était aussi inconnue que l’origine, étais assez bon homme et confident intime du châhzâdèh, se chargea de me conduire au rendez-vous. La nuit était fort noire. Nous marchions, précédés par un ferrah porteur d’une lanterne en toile blanche dans laquelle brûlait une bougie. À la lueur incertaine de cet éclairage qui nous dénonçait au loin à la fureur des chiens errans dans tous les carrefours, nous suivîmes des ruelles désertes et obscures, et nous arrivâmes devant, une poterne que nous franchîmes en nous baissant. Cette poterne débouchait sur une petite cour sombre et silencieuse. Notre guide éteignit son fanal, et le docteur, me faisant signe de le suivre, frappa doucement à une petite porte qu’on ouvrit avec précaution. Tout cela sentait bien le mystère, et me faisait même croire à quelque péril ; mais l’aventure prenait une tournure si piquante, que je me laissai faire, décidé à courir tous les risques auxquels mon audace pouvait m’exposer.

Au-delà du seuil que nous avions mystérieusement franchi, nous pénétrâmes dans un réduit obscur qui aboutissait à une galerie tout aussi noire, et que nous suivîmes en faisant d’assez longs détours. Nous montâmes quelques marches, traversant une salle faiblement éclairée, mais dans laquelle je pus cependant remarquer un grand nombre de peintures représentant des femmes dans des attitudes de danse, ou jouant de divers instrumens de musique, sujets que je n’avais