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pendant les dernières guerres, leurs croiseurs, s’embusquant derrière l’îlot rocheux du Verdelet, surveillaient de là toute la baie, et le 12 mars 1796 un convoi de douze voiles, allant de Brest à Saint-Malo sous l’escorte de la corvette l’Étourdie, fut brûlé en rade même d’Erquy par une frégate, deux bricks et un lougre commandés par sir Sidney Smith. La station que Vauban voulait établir dans les eaux de Bréhat servirait à prévenir de pareilles insultes.

Le mouvement du port d’Erquy, bien modeste encore, car il n’a atteint 3,834 tonneaux qu’en 1850, est au début d’un progrès qui peut aller fort loin. Il devra cet avantage à un gisement de grès siliceux, éminemment propre au pavage, qui l’enveloppe du côté du nord. Cette formation constitue toute la côte, sur un développement de vingt-quatre kilomètres, entre le fort de la Latte et le port d’Erquy. Je l’ai côtoyée par mer sur toute sa longueur : la largeur sous-marine en est mal connue, mais elle est visiblement beaucoup plus considérable que celle de la bande territoriale qui s’appuie au midi sur le granit. Ce grès appartient aux terrains de transition du système silurien ; il affecte une transparence supérieure à celle de la porcelaine, avec des teintes variées entre le rose et le vert tendre : la première de ces teintes est la dominante, et quand, aux heures de basse mer, le soleil fait reluire, au pied des falaises noirâtres et sur les talus des écueils qui se déploient à l’ouest du cap Fréhel, les galets qu’y roulent les flots, on croirait de loin les grèves revêtues d’un lit de feuilles de rose. Les terrains de transition des côtes de Bretagne et de Normandie recèlent plusieurs gisemens analogues à celui-ci ; le plus connu s’exploite aux portes de Cherbourg, mais je ne sais aucun grès comparable, pour la finesse et la dureté, à celui d’Erquy.

La seule partie de ce gisement où l’extraction soit économique et facile est celle qui s’étend du port aux Bouches d’Erquy. J’ai essayé d’en reconnaître la limite méridionale, et j’en évalue la superficie à 650 hectares ; elle forme un plateau de 70 mètres de hauteur moyenne au-dessus du niveau de la mer, et peut être considérée comme inépuisable. Ce n’est pas un médiocre avantage dans un lieu si bien situé pour l’exportation.

On a commencé, il y a peu d’années, à façonner en pavés le grès d’Erquy. Les essais de ce pavé faits dans les villes voisines n’ont point été défavorables ; à Rennes et à Saint-Malo, on l’a trouvé moins cher que le granit et très préférable pour l’usage et la durée. Les gens du monde qui parcourent dans d’élégans équipages les rues de Paris et de Londres ne traitent le pavé qu’avec un suprême dédain : les cochers de fiacres et les rouliers le maudissent souvent, les gens à pied quelquefois ; mais les uns et les autres réfléchissent rarement sur les services que rend un objet si grossier, et se doutent peu de ce qu’il faut