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l’on eût consacré le quart de cette somme à réunir le port à la route de Brest par un tracé latéral au Gouet, à diriger par le vallon du Gouëdic une rampe adoucie vers le faubourg oriental de Saint-Brieuc et les routes de Quintin, de Moncontour et de Loudéac, enfin à percer, en côtoyant horizontalement l’anse d’Yffiniac, une route directe vers Lamballe et Paris. La longueur totale de ces trois tronçons serait de quinze kilomètres ; en abrégeant les distances, en évitant les pentes, ils procureraient une économie moyenne d’environ 2 fr. sur chaque tonne tirée du Légué. L’agriculture gagnerait encore plus que le commerce à cet allégement des frais de transport. La plage vers laquelle convergeraient les routes à ouvrir est un inépuisable dépôt de tangue ; le territoire adjacent est, comme celui de la cote du Mont-Saint-Michel, exclusivement granitique et tertiaire, et l’amendement calcaire y produit les mêmes effets. Faciliter l’extraction de la tangue, c’est élargir la surface fécondée. Les cantons de Saint-Brieuc., de Châtelaudren, de Plouagat, de Quintin, de Montcontour et de Lamballe, qui sont à portée du Légué, comprennent une étendue de 96,283 hectares, dont 12,990 sont encore incultes, et avec de bonnes routes ils extrairaient 4 à 500,000 tonnes de tangue, fin accroissement de produits agricoles d’environ 3 millions de francs répondrait à ce mouvement.

L’exécution de travaux si féconds serait aujourd’hui d’autant plus opportune que les environs de Saint-Brieuc ont de graves pertes à réparer. Ils prospéraient naguère par la fabrication des toiles de Bretagne. La petite ville de Quintin en était le principal marché, et il s’y faisait annuellement pour 10 à 12 millions d’affaires. Cette industrie des chaumières remplissait les intervalles des travaux des champs ; elle a succombé sous la concurrence des toiles de Belgique, ou plutôt des machines qui les tissent. La Belgique n’a jamais montré beaucoup de gratitude pour les faveurs que nous accordons à ses manufactures ; mais exerçât-on les représailles que pouvait attirer la protection dont son gouvernement couvrait naguère la piraterie littéraire, la vieille fabrication bretonne ne serait pas pour cela ranimée. En effet, elle trouverait les marchés du dehors encombrés des produits de sa rivale, et les procédés modernes de filature et de tissage s’établiraient à Saint-Brieuc même, que le vide fait dans les campagnes ne serait pas mieux comblé ; la dissémination qu’on regrette serait vaincue par le voisinage de grands ateliers aussi bien que par la concurrence étrangère. L’affaissement de l’ancienne industrie locale est donc irrémédiable, et il ne reste qu’à reporter sur de nouveaux objets les habitudes de travail qu’elle a fait naître. L’aspect général du pays, les coutumes, les préjugés, les tendances de ses habitans, tout annonce que les seules industries qui puissent y prendre racine sont celles qui se rattachent immédiatement à la culture et à la navigation. Le Breton n’est point fait