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pour le temps. Elle attira ainsi l’attention des Anglais, fut assiégée par eux en 1590, fit une héroïque résistance et ne se rendit que vaincue par la famine. Les vainqueurs firent pendre aux ailes des moulins à vent les seize principaux habitans. Les Anglais étaient alors les alliés d’Henri IV contre la ligue, et s’ils violaient ainsi les droits de la guerre et de l’humanité, ce n’était point, comme on pourrait croire, par une vaine cruauté. Ils avaient pour décimer au XVIe siècle les marins de Bréhat les mêmes raisons que pour brûler au XIXe les manufactures des Espagnols, dont ils étaient les alliés contre Napoléon, et se faisaient dès-lors une loi de traiter toujours leurs amis comme s’ils devaient les avoir prochainement pour ennemis. L’île rentra ainsi mutilée sous la domination d’Henri IV, et depuis elle n’a pas cessé de fournir à la marine d’excellens matelots et des officiers distingués. Sur une population de 1,400 âmes, elle a dans ce moment 323 hommes classés dans l’inscription maritime et 52 invalides pensionnés. L’île Bréhat est le séjour de la paix et de la santé ; on n’y connaît ni procès ni maladies et il ne s’y trouve ni un seul avocat ni un seul médecin.

On ne quitte pas sans regret cet heureux coin de terre. Cependant nous voulions considérer du haut du phare des Héaux les dentelures de la côte et la marche des marées sur le Sillon de Talber ; nous reprîmes donc l’Entreprenant au Port-Clos : poussés par une forte brise de nord-est, mais garantis de la grosse mer par l’île, nous arrivâmes promptement vis-à-vis l’embouchure du Trieux, et le chenal occidental de Bréhat s’ouvrit devant nous. C’est celui qui porte sur les cartes marines le nom d’Entrée de la rivière de Pontrieux. Ici nous changions de direction, et le vent nous devenait contraire ; il fraîchissait le minute en minute, et, obligés de renoncer à atteindre le phare nous tentâmes d’en approcher. Comme un coursier généreux qui, se jouant dans la carrière sous un habile écuyer, charme l’œil par la rapidité de ses voltes et conserve dans ses bonds les plus impétueux la sûreté de son équilibre, l’Entreprenant, maître de lui-même sur une mer écumante, courait des bordées entre les écueils, se cabrait sur le dos des lames ou les labourait de son beaupré, sans jamais rien perdre de sa sensibilité au timon ni de la précision de ses mouvemens. Nous touchâmes ainsi la tombée du raz ; deux goélettes y étaient engagées et nous montraient, à chacune des saccades violentes qu’elles essuyaient, un tiers de leur quille hors de l’eau. Nous virâmes une dernière fois de bord, et l’Entreprenant nous emporta, rapide comme un trait, jusque dans les eaux abritées du Trieux.

La navigation maritime remonte, entre les rives accorés et sauvages du Trieux, jusqu’à 17 kilomètrès de la mer : elle rencontre d’abord sur son passage l’échouage de Lézardrieux, forme plus haut, dans le lit du Leff, un embranchement de 5 kilomètres, et enfin s’arrête devant