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avions l’habitude d’invoquer ? Qui donc a contribué à préparer cette résurrection des choses impériales ? Qui ? direz-vous. C’est vous-mêmes, c’est un peu tout le monde, chacun à son jour et à son heure, sans le savoir et sans le vouloir peut-être, tout au moins sans soupçonner où devait aboutir cette émulation universelle d’apothéose dont le nom de l’empereur a été l’objet depuis quarante ans. Dieu est témoin que ce ne sont pas même les plus zélés partisans de l’empire qui ont beaucoup servi à cet éclatant retour, pas plus que les émigrés n’aidaient très efficacement à la restauration. C’est tout le monde, comme nous le disions, les oppositions comme les gouvernemens, les partis comme les individus. La politique, la littérature, l’histoire, la poésie, le théâtre, la peinture, tout a concouru à la glorification du grand homme. À quelque point de vue qu’on l’envisage, la popularité de Napoléon, depuis qu’il a disparu comme le géant des tempêtes au sein de l’océan, est la plus puissante, peut-être la seule réalité de notre siècle, — et elle a cela de caractéristique, qu’elle a été souvent l’œuvre de ceux-là mêmes qui ne se fussent point accommodés de l’empereur vivant, et dont, à son tour, il ne se fut point accommodé davantage très probablement. Qui donc, mieux que les chansonniers du libéralisme, a propagé le culte familier du petit chapeau et de la redingote grise ? qui s’est refusé, au moins une fois dans sa vie, le facile et périlleux plaisir de faire honte à son temps de cet immortel passé ? Indépendamment de beaucoup d’autres raisons, cela tient à une habitude très ordinaire en France, celle de se montrer aussi peu que possible content du présent et de n’avoir volontiers d’admiration que pour ce qui n’est plus. Nous savons des hommes politiques qui, lorsque les gouvernemens de ces trente années s’efforçaient de leur mieux d’éviter les grands hasards de la guerre, retroussaient fièrement leur moustache en soupirant et en murmurant comme de vieux grenadiers de la garde, tout prêts, eux aussi, à dire : « Ah ! si l’autre était là ! » Nous eussions ainsi plus d’une fois conquis l’Europe. Les républicains eux-mêmes n’ont point été les derniers à s’armer de ces grands souvenirs pour discréditer les régimes qu’ils voulaient détruire : de telle sorte que, tandis que tout était décrié dans les discussions et les polémiques, tandis que les partis se déchiraient mutuellement eux et leurs idées, la popularité de Napoléon restait la seule chose toujours intacte, toujours grandissante. Au milieu de la paix, les souvenirs guerriers faisaient vibrer les âmes ; au sein d’un pays qui faisait des révolutions libérales, les institutions impériales étaient l’objet de savantes et éloquentes apologies. L’idéologie se réconciliait avec son immortel ennemi et le transfigurait comme l’homme du destin. La poésie le faisait apparaître à tous les horizons. Les gouvernemens ramenaient ses cendres comme une conquête au milieu des frémissemens de l’émotion nationale. Qui ne se souvient de cette scène et qui ne s’est dit ce jour-là que, si l’empereur se réveillait tout à coup, il serait le maître et pourrait faire les honneurs des Tuileries au roi Louis-Philippe ? Mon Dieu ! quand est venue la révolution de février, nous étions en train de faire une religion avec le nom de Napoléon. C’était une folie de cerveaux creux, nous le savons bien ; mais les folies de ce genre ne hantent pas les esprits quand les dispositions publiques n’y prêtent pas. La rare merveille que tous ces souvenirs perpétuellement évoqués, rajeunis, consacrés, redeviennent un jour, par une circonstance