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5 septembre, tous ces grands traits sont dessinés avec chaleur et conviction. Malheureusement la fausse manière de l’auteur a survécu à cet heureux retour du sens moral et politique ; il se fait historien non pour prouver, non pour raconter, mais pour amuser : il procède par épisode dans l’histoire qui peut le moins se passer d’ensemble, s’inquiétant plus de surprendre et d’émouvoir ses lecteurs que de leur faire tenir le fil des événemens. Sous le prétexte, plus spirituel que spécieux, de dessiner les physionomies royales qu’il va mettre en scène, M. de Lamartine rajeunit par l’éclat d’un coloris incomparable tous les récits pittoresques de la révolution, depuis les campemens de Condé jusqu’aux douleurs du temple ; mais il est impossible de ne pas s’inquiéter, pour l’honneur et l’unité de l’œuvre, en voyant se dérouler les longs plis de cette ample préface, et en trouvant presque le duc d’Enghien classé au milieu des principaux personnages de la restauration. L’auteur ne consacre guère moins d’espace à Murat marchant héroïquement à travers les précipices et les torrens à la rescousse de son beau royaume. Il décrit, dans son style scintillant comme une couronne de lucioles, les grandes scènes militaires de la campagne de 1815, les hontes et les malheurs qui la suivirent. Si, après avoir lu ces cinq volumes, il reste beaucoup à apprendre touchant les transactions diplomatiques de cette année et la situation financière du royaume après l’invasion, on ne perdra pas un détail de la crise sanglante du midi et de cette catastrophe de Grenoble qui eut les Alpes pour témoins et un châlet des montagnes pour dernier théâtre.

Cette manière de traiter une époque dans laquelle les affaires tiennent plus de place que le roman se comprend à toute rigueur pour les jours qui suivirent immédiatement la restauration, car ces jours-là furent dramatiques et sombres ; mais je ne sais vraiment ce que deviendra l’auteur lorsqu’il sera conduit, par la suite de son récit, à discuter des lois, des budgets et la création du 3 pour 100 ; je ne devine pas par quel procédé il jettera un voile épique sur la prosaïque personne de M. de Villèle, sur la physionomie spirituellement railleuse de M. Pasquier, la figure froidement élégante de M. Molé ou la face administrative de M. de Chabrol. C’est son secret, et la suite nous l’apprendra.

Quoi qu’il en soit, ces nombreux essais historiques, émanés d’esprits si divers, constatent quel intérêt puissant se rattache à ces quinze années. Cet intérêt est celui que suscite toute pensée honnête et féconde, et j’ai cédé moi-même à cet attrait en essayant, après tant d’autres, de la présenter sous son vrai jour. Plus la France s’engagera dans l’indifférence politique, et plus il sera doux de se reporter, par ses études et ses souvenirs, vers ses jours d’ardentes croyances durant lesquels les esprits élevés aspiraient à l’action aussi passionnément qu’on les a vus depuis aspirer à la retraite et à l’oubli.


LOUIS DE CARNÉ.