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imposée par les révolutionnaires, le sénat et le corps législatif à l’humeur débonnaire de Louis XVIII. Elle ne liait ni la royauté ni la nation, car elle consacrait toutes les hérésies politiques de l’école anglaise en même temps qu’elle supprimait ce droit précieux et si national du suffrage universel, dont la France a eu le malheur d’attendre trente ans la jouissance. De cette origine viciée datent tous les malheurs de la royauté et toutes les fautes de son gouvernement. Ce sont les vieux révolutionnaires émérites, rajeunis depuis sous le pseudonyme de doctrinaires, qui portent seuls la responsabilité des violences de 1815 ; c’est à eux seuls qu’il faut demander compte de tout le sang versé. Ils ont inventé les catégories, fusillé le maréchal Ney, Labédoyère, Chartran, Mouton-Duvernay, les jumeaux de La Réole ; ils ont assassiné Brune, Lagarde et Ramel ; ce fut leur politique à la fois machiavélique et impitoyable qui provoqua l’hécatombe des vingt-six victimes de Grenoble. La droite demeurait parfaitement étrangère à tout cela, et, pendant que les ministres et les ministériels se livraient à cette œuvre de réaction, elle ne s’inquiétait, dans ses inspirations populaires, que de réclamer pour la nation la jouissance des antiques franchises municipales, confisquées par la révolution et par l’empire. Faussée dès ses débuts, engagée par l’ordonnance du 5 septembre dans les voies révolutionnaires, la restauration ne laissa prendre aux royalistes qu’une situation contraire à leurs véritables principes, et durant tout son cours il leur fut interdit de développer leur propre politique. Etonnez-vous, d’après cela, qu’une affaire si mal entamée ait si mal fini, et qu’il ait fallu recourir à M. de Polignac pour enterrer l’œuvre de M. de Talleyrand ! Tel est le cercle invariable dans lequel tournent tous les écrivains apologétiques d’une certaine opinion. Les plus intelligens s’en dégagent à grand’peine, malgré d’honorables efforts d’impartialité dans l’appréciation isolée des actes et des personnes. On peut citer en exemple le livre de M. Lubis, œuvre consciencieuse autant que peut l’être une histoire contemporaine écrite par un homme de bien à l’usage et sous l’inspiration d’un parti.

La gauche a son thème non moins arrêté et ses partis-pris non moins énormes. Pour cette école, la restauration fut une œuvre de trahison combinée avec l’étranger. Les Bourbons ne furent pas des intermédiaires soudainement intervenus entre la France et ses vainqueurs, car ce fut pour leur rendre le trône que l’Europe coalisée entra dans Paris en 1814. Ce bruyant parti a ses historiens, et parfois des publicistes républicains viennent faire à M. Marco Saint-Hilaire une concurrence dangereuse. Ne demandez pas à M. de Vaulabelle, par exemple, tout libéral qu’il soit, de trouver que la charte fut un progrès sur le régime antérieur, et d’avoir quelques paroles sympathiques pour la généreuse initiative du vieux monarque qui rouvrait la tribune