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des chambres des hommes incapables d’intervenir dans leurs débats, et qui, pour gouverner la France, n’invoquaient d’autre titre que la volonté royale, cette judaïque interprétation du texte constitutionnel ne pouvait manquer de soulever chez les bons citoyens une universelle réprobation et d’exciter chez les hommes de désordre ces joies farouches qui trahissent l’approche des révolutions. Le gouvernement représentatif gît dans l’action personnelle des hommes autant et plus que dans le mécanisme des institutions. Son honneur, comme son péril, c’est de mettre le pouvoir au concours en le fixant dans des mains qu’on présume assez fortes pour l’exercer, parce qu’elles l’ont été pour le conquérir. Prendre pour conduire les affaires les premiers venus sans qu’aucune qualité éminente consacre les gouvernans aux yeux des gouvernés, cela se voit en Turquie d’ordinaire ; mais en France un tel usage de la souveraineté ne pouvait pas même être soupçonné en 1829, au milieu d’un peuple dans toute la verdeur de ses croyances politiques. L’entreprendre était moins un acte d’autorité qu’un acte de folie.

En formant le ministère Polignac, le roi n’avait, il est vrai, d’autre pensée que de continuer le gouvernement constitutionnel, en en replaçant le point d’appui à droite. C’était une erreur plus qu’une menace ; mais les peuples ont leur honneur comme les princes, et, sur l’étiquette de quelques noms, le pays avait vu dans la création de ce cabinet une insulte : il fallait qu’il reculât devant la France, ou que celle-ci reculât devant lui. Or la France décline souvent la lutte ; mais, lorsqu’elle l’engage, c’est pour ne plus reculer. L’état de l’esprit public et son irrésistible élan assignaient donc un terme assuré et fort prochain à un ministère qui ne soupçonnait pas même la gravité des questions soulevées par sa présence aux affaires. L’idée de voir un tel cabinet poursuivre sa carrière devant les deux chambres, où il était sans majorité et sans appui, ne supportait pas même l’examen. Au sein de la chambre élective, on ne comptait pas cinquante membres qui ne déplorassent la légèreté avec laquelle s’était engagée la couronne ; le centre droit tout entier, irrévocablement résolu à provoquer la chute de M. Polignac, ne réclamait comme condition de son concours à cette réparation nécessaire que des ménagemens pour la royauté si malheureusement compromise. Cette honorable portion de l’assemblée demandait qu’on fît tomber le ministère par la discussion, en constatant son insuffisance et en rejetant ses mesures politiques et financières, mais en écartant toute controverse sur l’essence et les limites de la prérogative royale. L’opposition, au contraire, même dans ses fractions les plus modérées, entendait formuler d’une manière absolue la théorie du refus de concours, et cherchait, bien loin de l’éviter, l’occasion de résoudre solennellement par une adresse la question pendante entre le droit du parlement et celui de la couronne. Suivre la première marche,