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ménagées par l’habileté, allait se démasquer tout à coup un antagonisme fatal. La restauration ne pouvait vivre que par la conciliation des deux principes, et la royauté, dans l’aveuglement de sa confiance, dénonçait la trêve et engageait systématiquement la lutte entre ces deux principes contraires. Heureux de se débarrasser enfin de conseillers qui, s’ils ne trahissaient sa couronne, trahissaient au moins son parti, Charles X réalisa sa plus persévérante et sa plus chère conception en remettant le sort de la monarchie aux mains de serviteurs éprouvés, sous la direction d’un homme que sa vie avait fait l’ami et son âge l’élève politique du vieux monarque.

Rendre le gouvernement de la monarchie aux hommes monarchiques, comme on restitue au propriétaire la jouissance de sa propriété usurpée ; marquer une limite infranchissable aux concessions, sans réagir toutefois contre aucun fait accompli ; envisager la charte, non comme la base de la royauté, mais comme son œuvre et la respecter religieusement à ce titre ; rester dans les voies parlementaires en amenant le parlement à contrôler les actes, sans jamais toucher aux personnes, cette pensée avait présidé à la formation du ministère Polignac ; elle avait constitué le seul programme qu’il eût reçu de la couronne et qu’il fût lui-même en mesure de se donner. En réalisant, après cinq ans de règne, le rêve de sa vie politique, Charles X ne croyait violer la charte ni dans sa lettre ni dans son esprit ; celle-ci ne disait-elle pas que le gouvernement appartenait au roi, et qu’il s’exerçait par des ministres nommés par lui ? Les membres du cabinet soupçonnaient moins encore le rôle sinistre que leur réservaient les événemens ; ils n’aspiraient qu’à vivre, non pour la vulgaire satisfaction de garder leurs portefeuilles, mais parce qu’en se faisant supporter, ils résolvaient le seul problème pour lequel on les eût appelés. Que la chambre reconnût au roi le droit de mettre le gouvernement du pays aux mains des hommes de son intimité et son administration dans celles des royalistes, et Charles X satisfait serait resté dans les strictes limites de ses attributions constitutionnelles. M. le prince de Polignac se tenait, de son côté, pour le plus constitutionnel des hommes et n’aspirait qu’à faire ses preuves. Le cabinet qui porta son nom respecta toutes les libertés dont on faisait contre lui un usage si terrible, et c’est une justice à lui rendre, qu’il resta plus qu’aucun autre scrupuleusement soumis aux lois jusqu’au jour où il les foula aux pieds. Ce cabinet ne fut donc pas formé sous la pensée préexistante d’un coup d’état ; mais, chose plus dangereuse, il fut constitué sous l’inspiration d’une pensée de parti, dans tout ce qu’une telle inspiration comportait d’exclusif et d’aveugle. Lorsqu’on voyait unir dans un ministère des noms qui rappelaient les plus imprudens souvenirs de l’ancien régime à d’autres noms qui soulevaient au cœur du pays ses plus vives susceptibilités, quand, de propos délibéré, la couronne plaçait en face