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un factieux quiconque lui eût demandé un portefeuille pour Casimir Périer, un commandement pour le général Foy, ou une ambassade pour le général Sébastiani.

M. de Villèle ne s’était pas dissimulé que la portée du mouvement électoral impliquait la nécessité d’une modification profonde dans le gouvernement de la société. Charles X avait accepté sans hésitation la démission d’un ministre dont il appréciait l’habileté plus qu’il ne goûtait la personne. Dominé par ses souvenirs de jeunesse, ce prince, qui avait vu plus d’un contrôleur-général élevé par la faveur succomber sous des chansons, estimait pouvoir triompher d’une fronde sans motifs et sans racines en faisant aux caprices populaires le sacrifice de quelques noms propres, et en remplaçant les chefs d’emploi par des doublures. La formation du ministère Martignac n’avait pas primitivement une autre portée aux yeux de la couronne, et les hommes honorables groupes dans ce cabinet autour de quelques collègues survivant à M. de Villèle, pour la plupart agens de la politique qui prévalait depuis six ans, n’étaient au fond appelés que pour la continuer dans des conditions moins défavorables. Il n’existait pas deux systèmes pour le roi Charles X ; encore moins admettait-il que des ministres royalistes pussent songer à exiger, comme condition de leur entrée aux affaires, un remaniement du personnel administratif. Ce prince aurait plutôt admis la pensée d’une abdication que celle de traiter, selon la politique anglaise, avec les chefs de l’opposition constitutionnelle, dont M. Royer-Collard formulait la pensée, et dont Casimir Périer commandait alors si brillamment l’avant-garde.

De ce désaccord primordial entre la fin que lui assignait la couronne et celle que lui attribuait l’opinion provinrent la faiblesse, les mécomptes et la chute de cette administration regrettée. Appelé par le roi moins pour remplacer un cabinet que pour le continuer, le ministère Martignac paraissait avoir reçu mission de faire prévaloir une politique contraire à celle qui venait d’être condamnée par le pays, et de réparer tous les griefs, fondés ou non, qui l’agitaient alors avec tant de vivacité. Hésitait-il à trancher par ses choix et par ses actes avec ceux de ses prédécesseurs, l’opinion le lui imputait à faiblesse ; tentait-il de s’engager dans des voies différentes et de s’entourer d’hommes nouveaux, la couronne l’accusait de tromper sa confiance. Le terrain lui manquait au parlement comme à la cour, car il lui était également interdit de faire ce que réclamait l’opposition et de demeurer dans la réserve qu’avait espérée le monarque. Des deux directions entre lesquelles elle était tiraillée, l’administration Martignac n’avait pas tardé, comme il était facile de le prévoir, à choisir celle qui la croyait appelée à inaugurer une politique nouvelle. Sans être par la pensée qui avait présidé à sa formation un ministère libéral proprement dit, comme les trois cabinets qui s’étaient succédé après l’ordonnance