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touchait à quelque chose, et la conscience publique entrevoyait derrière ces projets des conséquences lointaines qui la soulevaient. Ce n’est pas que les lois présentées eussent un caractère ou fort tranché ou fort menaçant. Le ministère auquel elles étaient imposées s’efforçait d’en restreindre les dispositions au point de les rendre inapplicables comme dans la loi du sacrilège, ou inefficaces comme dans celle du droit d’aînesse, et le parti qui réclamait ces mesure à grands cris, ayant lui-même la conscience de leur périlleuse impopularité, s’attachait plutôt à faire consacrer les principes fondamentaux de son symbole qu’à en presser les conséquences pratiques. Ainsi le projet sur le droit de primogéniture, tel qu’il fut porté à la chambre des pairs et rejeté par cette assemblée, aux applaudissemens du pays, se réduisait à prescrire, dans les familles payant 300 francs d’impôt, la substitution d’un préciput légal en faveur de l’aîné au préciput facultatif, sauf volonté contraire exprimée par un acte de dernière volonté. Le seul effet sérieux de la loi aurait donc été de contraindre les pères de famille à faire des testamens pour lui échapper. C’était pour préparer dans tous les rangs de la société domestique la défaite certaine des lois par les mœurs que d’un bout du royaume à l’autre on ameutait les intérêts, on surexcitait les passions, et que l’on donnait à la presse le plus redoutable de tous les thèmes ; c’était pour une combinaison d’une portée économique à peu près nulle qu’on introduisait au cœur des classes moyennes la colère qu’aux premiers jours de la restauration la malveillance était parvenue à insinuer au cœur des masses soulevées au 20 mars par la grande calomnie de la dîme et des droits féodaux !

Ces tentatives, à la fois audacieuses et mesquines, provoquaient contre le pouvoir un flot chaque jour montant d’inimitiés. La société moderne restait obstinément dans ses voies et haïssait les réformateurs sans les craindre. Tout ce bruit se faisait en pure perte, et la monarchie seule payait les frais de débats qu’elle laissait si malheureusement entamer. « Tandis que les ministres, disait un piquant orateur, nous parlent d’imiter Romulus et Lycurgue, s’attribuant le pouvoir de transformer la France à leur gré, tout demeure comme auparavant, avec le mécontentement de plus. On veut armer la religion d’une loi pénale, et elle est abolie en naissant par la tolérance universelle ; la présomption ministérielle s’imagine un jour qu’elle abaissera par une loi l’intérêt des capitaux : les préteurs et les emprunteurs continuent à régler leurs affaires selon leurs besoins réciproques. Et cette loi du droit d’aînesse, quel est le principal argument par lequel on s’efforce de lui rallier des suffrages ? C’est qu’elle ouvre une issue pour lui échapper[1]. »

  1. M. de Barante, chambre des pairs.