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grandes charges de la monarchie, à commencer par les ministères, et de payer les préfets en coupes de bois. M. Bergasse demandait que la jouissance des droits politiques fût subordonnée à la possession d’un manoir substitué de plein droit à l’aîné de la famille, et M. Cottu, s’emparant de la même pensée, voulait que des girouettes placées au sommet de la manse électoralela désignassent au respect de toute la contrée circonvoisine. C’était à qui proposerait sa recette pour faire pousser des aristocrates comme des champignons. On semblait ignorer que toutes les aristocraties qui ont eu ou qui conservent quelque grandeur sont issues de faits primordiaux qui dominent et l’histoire et la volonté des législateurs. Les privilèges politiques n’ont nulle part été conférés à priori, partout ils correspondent à des croyances préexistantes aux institutions. Dans le monde oriental, les aristocraties sont des castes, dont les membres ne sont pas moins séparés par l’opinion que l’homme ne l’est de l’animal ruminant à ses pieds. Dans les sociétés grecque et romaine, où la puissance religieuse se confondait avec la puissance sociale, les patriciats étaient des sacerdoces. Dans l’Europe moderne, les aristocraties sont sorties tout armées de la conquête, comme la déesse antique du cerveau de son père. Les fils des races conquérantes ont pu sans doute, dans le cours des âges, ou perdre leur autorité ou la maintenir et l’étendre suivant qu’ils ont déployé plus ou moins d’esprit politique ; mais, de nos jours encore, la puissance des aristocraties les plus accessibles aux influences et aux fortunes nouvelles repose exclusivement sur le fait primitif dont le prestige les entoure et les protège. Si l’Angleterre est la plus aristocratique des nations, il faut moins encore l’attribuer au sens si droit et à la conduite si sensée de sa noblesse qu’à cette circonstance trop peu remarquée, que dans ce pays, conquis plus souvent et plus récemment que le reste de l’Europe : la féodalité s’est regreffée en quelque sorte sur elle-même par le seul effet de l’invasion normande.

Pour introduire un élément aristocratique dans une nation où cet élément n’existe point, il faudrait à défaut du passé, qui n’appartient à personne, bouleverser son organisation tout entière jusque dans ses dernières profondeurs. Le droit d’aînesse, par exemple, ne serait-il pas la plus cruelle des iniquités là où les cadets n’auraient à leur disposition ni les grades d’une armée réservés aux familles puissantes, ni les bénéfices d’une église nationale richement dotée, ni les chances de fortune que présentent d’immenses colonies dispersées sur toutes les mers ? Et cette injustice ne toucherait-elle pas à l’immoralité, si la religion n’était en mesure d’ouvrir ses bras à toutes les déshéritées de la fortune, ou si celles-ci ne pouvaient, comme en Allemagne, abriter dans de nobles asiles leur tristesse derrière leur vanité ? Pour faire accepter l’inégalité des partages, il fallait donc toucher à tout, si l’on