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et se vouait à la tâche difficile de demeurer chef d’un parti en restant étranger à sa pensée et à ses espérances. Ce n’était pas une chambre ministérielle qui était sortie de terre au bruit du canon de victoire, c’était une chambre royaliste. Cette majorité honnête et convaincue appartenait à ses opinions plus qu’à ses chefs, et ceux-ci étaient moins dans le cas de la diriger que de la suivre. Dissoute au 5 septembre 1816, elle reprenait le pouvoir avec une confiance que semblaient justifier l’attitude et le découragement de ses adversaires, et croyait le moment venu de réaliser enfin les grands projets que jusqu’alors elle n’avait pu qu’indiquer. Dans l’enivrement de soir triomphe, aucune puissance humaine n’aurait pu l’empêcher d’exhumer le programme de 1815, et de commencer la guerre contre la révolution en entamant l’œuvre qui embrassait tous les problèmes à la fois, depuis la reconstitution civile de la famille jusqu’à celle de l’antique église gallicane. Que M. de Villèle imprimât une vive impulsion au crédit, au risque même d’exciter l’agiotage, ses amis politiques n’y avaient pas d’objection, à condition toutefois qu’on profitât des accroissemens de la richesse publique pour fermer successivement toutes les plaies de la révolution et pour servir des intérêts religieux ou monarchiques. Placé entre les royalistes et les libéraux, entre la noblesse et la bourgeoisie, le ministre n’accordait aux uns que ce qu’il ne pouvait leur refuser, et cherchait, en enrichissant les autres, à leur faire supporter des concessions indispensables à lui-même. N’ayant pas moins besoin des votes des congréganistes que des écus des banquiers, du concours politique de l’émigration que du concours financier de la bourse, il déploya une habileté sans égale pour calmer les passions par les intérêts et pratiqua durant six années une sorte de système de bascule, non pas, comme ses prédécesseurs, entre les coteries parlementaires, mais entre les classes mêmes de la société que leurs traditions et leurs habitudes semblaient vouer à un éternel antagonisme.

Cette tâche ardue fut rendue plus difficile encore par une importation législative qui vint dénaturer le système électoral et ajouter aux illusions de la majorité sans augmenter sa puissance. M. de Chateaubriand, alors membre du cabinet, avait récemment admiré à Londres le mécanisme de ces grands partis qui, sans préjudice pour les intérêts permanens de la Grande-Bretagne, se succèdent au pouvoir et le conservent durant de longues périodes. Il avait fait prévaloir la pensée de la septennalité contre le texte formel de la charte de 1814, qui prescrivait le renouvellement annuel par cinquième. Or, appliquer le système britannique, qui présuppose des partis dévoués aux mêmes institutions, à la France divisée par des factions le plus souvent hostiles au gouvernement existant et toujours inconciliables entre elles, c’était transporter une tour de granit sur un fond de sable, et rendre les