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et la prostitution sur le trône ? Concourir au rétablissement du régime qui avait frappé de stérilité l’une des plus nobles contrées de l’Europe était un crime politique que la France ne pouvait commettre impunément. En aidant au contraire à l’avènement pacifique des hommes et des idées qui gouvernent aujourd’hui la Péninsule, elle aurait épargné à ce pays les vingt années les plus sanglantes de son histoire ; en assistant impassible à toutes les fureurs d’une réaction sauvage, elle abdiqua la mission à laquelle se rattachait peut-être le salut de la dynastie : de cette dérogation à la loi providentielle qui régit l’action initiatrice de la France date, en effet, le triomphe du parti qui domina bientôt M. de Villèle, et qui commençait à pousser son cabinet vers les témérités qui conduisent aux catastrophes.

Cependant, quelque funeste qu’ait été pour l’avenir de la cause royaliste le concours prêté à un despotisme sans lumières, la conséquence première de l’intervention fut un immense surcroît de force et d’influence. En mettant à une épreuve réputée dangereuse la fidélité de l’armée, la monarchie avait affermi le sol sous ses pieds. Le canon de la Bidassoa rompit le faisceau des affiliations secrètes, qui vivaient de l’espérance d’une défection militaire. Au Waterloo de l’empire succéda donc celui de la révolution ; et l’année 1823 refit temporairement au profit de la maison de Bourbon la situation de 1815 avec une victoire de plus et l’invasion de moins.

Ce succès fut le coup de grace assené à l’opinion libérale : il vint changer en déroute une défaite déterminée par la plus imprudente stratégie. Les élections furent enlevées sans résistance, car on ne résiste pas chez nous à la force servie par la fortune. La chambre introuvable fut retrouvée, et dix-sept membres s’assirent seuls sur les bancs dégarnis de cette opposition qui avait donné le pouvoir à ses adversaires, et à laquelle il ne restait pour dernière ressource que l’espérance trop fondée de leurs fautes. Quelque mode d’élection qui prévale, toute situation nettement dessinée obtient en France une confirmation électorale. M. de Villèle bénéficia de cette loi après la guerre d’Espagne ; mais, conformément à cette loi même, le pays lui envoya des hommes selon cette situation plutôt que selon ses vœux. Le ministre des finances, président du conseil, n’était plus le petit gentilhomme de Toulouse qui protestait en 1814 contre la charte, et qui, en 1815, devenait le chef de la majorité provinciale dont M. de Bonald était l’oracle et M. de Maistre le prophète. Doué d’un sens pratique qui en politique est presque le génie, admirablement organisé pour l’administration et pour les affaires, M. de Villèle avait promptement compris tout ce qu’il y avait de téméraire et de chimérique dans ces plans de reconstitution sociale que la droite continuait de poursuivre avec ardeur et avec foi. Sans répudier ses amis, il répudiait leurs illusions,