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monarchie constitutionnelle n’existait plus de l’autre côté des Pyrénées ; on y marchait, sous l’influence des sociétés secrètes, vers une sorte de république girondine, derrière laquelle se montraient les sans-chemises[1], odieux plagiaires des sans-culottes. Demander au chef de la maison de Bourbon de laisser aller ce drame jusqu’à sa dernière péripétie, c’était réclamer son déshonneur ; demander au chef d’un gouvernement de souffrir aux portes de la France l’établissement permanent d’un foyer insurrectionnel, c’était réclamer son abdication ; laisser l’Europe continentale résoudre cette question sans nous et contre nous, c’était accepter une irrémédiable déchéance. L’intervention en Espagne était donc obligée, et l’on ne s’explique pas que des esprits sérieux aient pu le mettre en doute. Ce n’était point sur le fait de cette intervention, mais sur l’esprit dans lequel il convenait de l’exercer, que pouvait porter le débat. Cette grande entreprise n’aurait présenté que des avantages sans inconvéniens politiques, si elle ne s’était rétrécie aux proportions d’une œuvre de parti destinée à grandir une faction plutôt qu’à grandir la France.

Nous ne pouvions épuiser en Espagne notre sang et notre or qu’au profit de l’idée dont notre propre gouvernement était l’expression la plus éclatante. Il fallait que la France renonçât à toute action extérieure ou qu’elle secondât résolûment en Europe les intérêts auxquels elle attribuait le droit et la mission de gouverner. L’oeuvre de la restauration consistait à faire prévaloir dans les monarchies méridionales cette transaction entre les institutions historiques et les réformes rationnelles dont la charte de 1814 était le résultat et le modèle. Les écrivains de la droite manifestaient à cette époque et ont continué de professer un dédain suprême pour les libertés écrites et pour ces constitutions reliées en veau qu’on peut mettre dans sa poche[2], œuvres sans passé et sans avenir, dans lesquelles ne respirent ni la nationalité séculaire ni la vie intime des peuples ; mais que prouvent ces antipathies cachées sous le couvert du bel esprit, sinon qu’on voudrait imposer aux sociétés contemporaines des mœurs qui leur sont devenues étrangères et des institutions dont le sens est perdu pour elles ? Les siècles font des ruines comme les révolutions, et le despotisme n’est pas moins démolisseur que l’anarchie. Une constitution écrite, réglant les rapports du pouvoir et des sujets, ne valait-elle pas mieux pour l’Espagne du XIXe siècle que l’ignoble chaos sous lequel avait disparu la monarchie de Charles IV et de Marie-Louise, qui, du milieu de ses ténèbres, ne laissait entrevoir au monde que la vénalité dans la justice, l’anarchie dans l’administration, la corruption dans les monastères

  1. Los des camisados.
  2. M. de Maistre.