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Les camarillas remplacèrent les clubs, et l’anarchie fit une fois de plus reculer la liberté.

Les éclatans succès de l’Autriche à Naples et à Turin avaient eu sur le cours de l’opinion publique en France un effet que la victoire de Novarre n’a pas surpassé. En 1820, tout le monde croyait la révolution vivace, et deux ans ne s’étaient pas écoulés qu’elle apparaissait impuissante et désarmée. Dans les questions intérieures, les déceptions n’avaient pas été moins amères. Depuis que, par un miracle d’aveuglement et d’imprévoyance, l’opinion libérale avait frayé par ses propres efforts la route du pouvoir à M. de Villèle, en renversant à son profit le dernier cabinet dans lequel vécût encore la tradition du 5 septembre 1816, la droite avait gagné dans la chambre et dans le pays tout le terrain perdu par l’opinion intermédiaire si laborieusement formée depuis quatre années. En votant pour M. Grégoire et contre M. de Richelieu, la bourgeoisie avait consommé son suicide et constaté qu’elle n’avait pas encore le tempérament politique assez formé pour faire prévaloir une doctrine qui lui fût propre.

L’opinion de 1815, qu’un loyal concours des classes moyennes à la politique royale aurait suffi pour annuler, avait profité avec ardeur du retour de fortune ménagé par ses ennemis. Au dedans comme au dehors, des vents heureux enflaient ses voiles, et tout lui tournait à bien. Elle avait bénéficié du crime de Louvel comme de la naissance qui rendit ce crime inutile. La maison de Bourbon, frappée dans sa tige, renaissait du sein de la mort, et la Providence semblait jeter pour un long avenir un défi à ses ennemis. Si l’effet de cet événement fut grand sur le parti dont il confirmait la foi, il ne fut guère moindre sur les factions contraires, car il leur enlevait l’espérance, et les partis ne vivent que par elle. Les masses sont toujours du parti du succès, et l’Europe de la sainte-alliance triomphait presque sans obstacle de révolutions qui avaient épuisé à la tribune toute l’ardeur qu’elles avaient promis de porter sur le champ de bataille. Ce que les peuples pardonnent le moins, ce sont les avortemens succédant aux menaces. En franchissant sans obstacle les Abruzzes, si long-temps réputées des Thermopyles, le général de Frimont avait tracé le vingt-neuvième bulletin de la révolution européenne.

En France, l’opposition, si nombreux qu’en fussent les élémens, étai trop peu fixée sur le but à poursuivre pour n’être pas profondément atteinte par tant de coups. Formée des résidus de tous les régimes antérieurs, elle avait à mettre en commun des haines implacables plutôt que des espérances nettement définies. L’empire était mort avec l’empereur ; la république dormait dans le sanglant linceul dont nul n’osait encore se faire un drapeau, et la substitution d’une branche de la famille royale à la branche régnante, qui ne préoccupait alors que