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comme celle de l’Angleterre, une aristocratie gouvernementale fondée à la fois sur la puissance et sur la richesse, quoique tempérée par la démocratie.

Qu’on interroge donc l’histoire ancienne ou l’histoire moderne, on ne tarde pas à reconnaître que toute nation qui a voulu avoir un commerce et une marine, cet élément indispensable de la puissance d’un état, a reconnu nécessaire de fonder des colonies lointaines, afin d’échanger ses richesses et d’entretenir un personnel permanent d’hommes de mer. — Et les États-Unis d’Amérique ? dira-t-on peut-être. Ils n’ont pas de colonies et ne veulent pas en avoir : peut-on nier cependant leur immense prépondérance maritime ? — À cette objection, la réponse est facile : pourquoi les États-Unis auraient-ils des colonies, puisque, grace à leur admirable position géographique, on y retrouve en même temps et le climat tempéré avec les productions de la vieille Europe, et les chaleurs brûlantes avec les denrées de la zone tropicale ; puisque, pour nous servir d’une expression qui rend bien notre pensée, ils sont à la fois métropole et colonie, ce qui fait abonder chez eux et le nécessaire en tout genre et même le superflu, superflu qu’ils vont transporter dans le monde entier ? Ajouterons-nous que, pour leur permettre d’opérer ces transports plus facilement, la nature a doté leur sol des végétaux et des minéraux les plus propres aux constructions des bâtimens ? Ce sont à chaque pas des mines de fer, de charbon, des forêts vierges. Qu’on s’étonne que, même sans colonies, les Américains soient devenus les premiers courtiers maritimes du globe !

Ces conditions ne sont nullement celles de notre vieille Europe, et dès-lors pourquoi chercher des points d’analogie entre les peuples de ces deux continens ? L’exemple des États-Unis ne peut nullement être invoqué contre la France. Il faut à celle-ci des colonies lointaines pour lui assurer un effectif constant d’hommes de mer ; il lui faut surtout des colonies protégées par des tarifs exceptionnels en faveur du pavillon national. Au point de vue maritime, nous ne pouvons donc accepter comme applicables, en ce moment du moins, les théories du libre échange. Il ne faut, pour se convaincre du danger présent de ces théories, que mettre en parallèle les résultats de notre navigation protégée et ceux de notre navigation de concurrence. Au 1er janvier 1851, la France possédait 14,354 navires marchands de tout rang, jaugeant ensemble 688,000 tonneaux, effectif qui ne s’est maintenu que grace aux privilèges accordés pour les bâtimens faisant la navigation coloniale et la pêche, grace aussi aux surtaxes qui frappent les bâtimens étrangers. Veut-on avoir la preuve de l’utilité de ces privilèges ? Dans le cours de cette même année, les transports que cette navigation protégée nous réservait exclusivement ont employé 433,000 tonneaux, c’est-à-dire