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quand l’heure de la liberté a sonné, de grouper des travailleurs libres sur les habitations où les retenaient leurs propres intérêts, les souvenirs de leur aisance, et souvent aussi les bienfaits de leurs anciens possesseurs. De là de grandes raisons pour continuer, par contrat, avec ces maîtres, les travaux de culture auxquels les noirs se livraient forcément jadis.

Ces cultures sont, en première ligne, celle du sucre, puis celle du café et d’un peu de cacao ou de coton ; mais ces trois dernières denrées réunies ne représentent pas le quart de la production sucrière. La culture du sucre exige d’ailleurs, dans le système actuel d’exploitation, l’emploi d’un personnel de travailleurs considérable ; aussi une trop grande subdivision des propriétés sera-t-elle défavorable aux intérêts agricoles de nos colonies tant qu’on n’aura pas séparé la culture de la fabrication, en concentrant cette dernière dans des usines centrales. Dans l’état actuel des choses, pour faire dix barriques de sucre par exemple, il faudrait en bêtes de somme et de trait, en moulins, chaudières et autres ustensiles, à peu près la même dépense d’installation et d’entretien annuel que pour en faire cent. Il en résulte qu’il devient à peu près impossible d’exploiter comme sucrerie une propriété qui n’a pas au moins 50 arpens.

Pendant les dix années qui précédèrent 1848, la production sucrière de la Martinique présentait en moyenne un chiffre de 27,209,000 kilogrammes de sucres exportés. La révolution de février fit éclater dans l’île de graves désordres, le sang fut versé à la lueur de l’incendie ; mais le mot de liberté, jeté aux masses en effervescence, les calma et prévint de nouveaux désastres ; l’émancipation des esclaves y devança l’arrivée des ordres de la métropole, qui venait de la proclamer elle-même. Enivrés de la liberté, les nouveaux affranchis la considérèrent tout d’abord comme synonyme de l’oisiveté : ils quittèrent les ateliers de culture sur un grand nombre de points. Bientôt, malgré les louables efforts que déploya le nouveau gouverneur, né lui-même à la Martinique et homme de couleur, pour ramener au travail les nouveaux affranchis, la production sucrière subit une baisse énorme, et les documens de douane n’accusent, à la fin de l’année 1848, qu’une exportation de 19,731,392 kilogrammes de sucre.

L’année 1849 s’annonça sous de meilleurs auspices. Le gouvernement de la métropole montra une certaine vigueur et prit d’excellentes mesures, dont la plus importante était de désigner pour gouverneur-général des Antilles, forces de terre et de mer réunies, un amiral aussi actif que capable et résolu, l’amiral Bruat. De leur côté, les colons, dont la ruine était imminente, organisèrent le travail libre de leurs esclaves de la veille en les associant à des bénéfices communs ; ce mode de rémunération, confondant les intérêts des travailleurs et des propriétaires,