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de moteurs à beaucoup de moulins à sucre ; cinq de ces rivières sont navigables pour des caboteurs. Parmi les rades et baies qu’offre le littoral de la Martinique aux navigateurs, les plus fréquentées sont la rade de Saint-Pierre et la baie du Fort-Royal, dit aujourd’hui Fort de France ; mais les bâtimens mouillés à Saint-Pierre s’empressent, aux approches de l’hivernage, de se réfugier au Fort-Royal, lequel offre à la fois un bassin très abrité, mais resserré, connu des marins sous le nom de Cul-de-Sac, et, en dehors de ce bassin, une vaste et profonde baie, d’une excellente tenue, qui pourrait au besoin recevoir des flottes entières : Au fond du Cul-de-Sac est l’arsenal maritime de la colonie.

La population de la Martinique, comme celle de toutes nos colonies, se compose de blancs ou créoles, lesquels sont Européens d’origine ; de noirs de race africaine ; de gens de couleur, race mélangée des deux autres à des degrés différens. Les premiers, au nombre de 9,000 environ, sont possesseurs de la majeure partie des terres et des capitaux ; ils ont en main le haut commerce et les industries les plus riches. Aussi, malgré les révolutions égalitaires de la métropole, le préjugé de la couleur, bien qu’il se soit amoindri, élève-t-il encore ses barrières entre la race créole et la race africaine ; il est à supposer que ce préjugé perdra chaque jour de ses exigences à mesure que les gens de couleur et les noirs acquerront de plus en plus des lumières, de l’instruction et des richesses.

Les gens de couleur habitent les villes pour la plupart : les uns y sont établis comme négocians ou commis de négocians ; les autres exercent des professions manuelles, telles que celles de charpentier, menuisier, tailleur ; d’autres trouvent des moyens d’existence dans la pêche ou dans la préparation des vivres de table ; d’autres enfin sont employés à la culture du sucre et du café sur les habitations mêmes. À peu près au nombre de 37,000, les gens de couleur étaient libres en presque totalité avant la révolution de 1848, soit qu’ils fussent issus d’affranchis, soit qu’ils eussent été affranchis par leurs maîtres, soit enfin qu’ils eussent eux-mêmes acheté leur liberté.

Les noirs, presque tous esclaves naguère encore, constituent le gros de la population de la Martinique ; ils sont au nombre de 75,000, ce qui porte le chiffre total de cette population à 121,000 ames. C’était une des prescriptions des lois sur l’esclavage, que chaque colon concédât dans sa propriété, à ses esclaves des deux sexes, un terrain qu’ils cultivaient pour leur usage respectif, et dans lequel ils élevaient des volailles, des porcs, quelquefois même du gros bétail. Les plus industrieux parmi les noirs s’y logeaient et s’y meublaient parfois avec recherche. Cette règle, aussi humaine que politique, a produit l’excellent effet d’attacher la plupart des esclaves au sol de leurs maîtres, et,