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élémentaires de l’art du charpentier ou du forgeron leur manquent également. Il fallait, pour les travaux de ce genre, avoir recours aux ressources, fort vastes d’ailleurs, qu’offrent les États-Unis ; mais pour la masse des simples ouvriers, des terrassiers, des manœuvres, pour les gens à qui l’on ne demande qu’un peu de force et de bonne volonté, ne valait-il pas mieux les recruter parmi les habitans du pays, habitués au climat, peu exigeans sous le rapport de la nourriture, et qu’on pouvait trouver sur les lieux mêmes sans avoir besoin de les y amener à grands frais ? Malheureusement on ne pouvait songer sérieusement à trouver sur l’isthme les bras dont on aurait besoin. En premier lieu, la population y est fort clair-semée ; les hommes sont en général peu actifs, peu disposés à se soumettre à un travail continu, et en outre presque tous ces gens-là trouvent à gagner des salaires énormes comme bateliers sur le Chagres ou conducteurs de mules sur les routes de Crucès et de Gorgona à Panama. La compagnie ne pouvait songer à payer des prix aussi élevés (4 à 5 piastres par jour) sans courir à sa ruine. Il fallut donc songer à se pourvoir ailleurs. On pensa qu’on pourrait employer avec avantage les ouvriers américains, surtout ceux des états de l’ouest, qui sont accoutumés à vivre dans les forêts, sur un sol souvent marécageux, et mieux préparés que d’autres à subir l’influence du climat de l’isthme. On passa donc des marchés qui assuraient à la compagnie les services de 1,200 ouvriers américains. Pour les trois cents premiers engagés, on adopta des conditions assez singulières : il fut convenu qu’après qu’ils auraient fourni chacun cent journées de travail effectif, on leur donnerait le moyen de se rendre gratuitement en Californie. Ils devaient en outre être logés, nourris, soignés en cas de maladie, et, à l’expiration de leur engagement, on leur remettrait une somme de 20 dollars (106 francs). La fureur de l’émigration en Californie régnait alors dans toute sa force, et l’on pensait qu’en promettant ainsi aux ouvriers de les transporter gratuitement sur cette terre promise, au bout d’un délai assez court, on en obtiendrait de bons services ; mais l’expérience fit bientôt reconnaître qu’on avait commis une erreur. Les ouvriers ainsi engagés ne considéraient leur séjour sur l’isthme que comme une première étape vers la Californie, où ils avaient hâte d’arriver. Ne devant d’ailleurs rester que très peu de temps au service de la compagnie, ils n’avaient aucun intérêt à se concilier le bon vouloir de leurs chefs par leur application au travail, et ils ne faisaient que juste ce qu’il fallait pour ne pas rompre ouvertement leur engagement. Bref, ils ne donnèrent qu’une satisfaction médiocre. C’était d’autant moins surprenant, que ce premier personnel n’avait pas été recruté avec tout le soin désirable, et qu’il s’y était glissé un assez grand nombre d’individus éminemment impropres aux travaux qu’on allait leur demander. Ainsi il y