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LA CHANSON DE ROLAND.

admirables scènes, un seul mot vient à l’esprit, le mot sublime. Les plus grands spectacles de la nature soulèvent-ils dans l’ame de plus profondes émotions ?

Ainsi voilà qui est hors de doute : le titre d’épopée, titre usurpé pour presque toutes nos chansons de geste, la chanson de Roland a droit de le porter.

Est-ce à dire que nous demandions pour elle le rang et les prérogatives d’un poème épique par excellence ? Nous n’avons pas cette témérité. M. Génin se montre plus hardi. La France, selon lui, avec sa chanson de Roland, est en droit désormais de dire aux nations antiques et modernes : Ne me dédaignez plus, ne me jetez plus la Henriade à la face ; moi aussi j’ai mon poème épique, je l’ai retrouvé, le voici.

Cette prétention, avant d’être acceptée, aurait au moins besoin d’un commentaire. S’il s’agit seulement d’épopées d’imitation, d’épopées littéraires, nous sommes de moitié avec M. Génin. Ces poèmes, si beaux qu’ils soient, ne sont épiques que de nom, aussi bien le plus admirable de tous, l’Énéide, que le plus séduisant, le Roland furieux. On peut donc sans irrévérence, sans le moindre esprit de paradoxe, tout en se prosternant devant des génies divins, soutenir que notre moderne rapsode appartient de plus près qu’eux, et par un titre plus légitime, à la famille, à la vieille et noble souche épique, comme certains pauvres gentilshommes qui, pour la pureté du sang, passent, avant certains rois ; mais il est des épopées en qui l’éclat de la poésie s’unit à l’originalité primitive : pour marcher de pair avec celles-là, que faudrait-il ? Deux choses, dont une seule, il faut bien le reconnaître, existait au siècle de Théroulde.

M. Génin dit quelque part, dans un élan de juste admiration pour une des plus belles scènes de la chanson de Roland : « Que manque-t-il à cela, que d’être écrit en grec ? » Nous répondons : Il y manque d’être écrit seulement en français, c’est-à-dire dans une langue à son âge viril, et non dans un idiome en bas âge. Qu’on ne se méprenne point sur le sens de nos paroles ; nous aimons notre langue au berceau : ses commencemens sont vigoureux et pleins de charme, mais, ce sont des commencemens. Les choses qu’elle exprime, elle les rend avec force, souvent même avec plus de bonheur que quand elle est toute formée, mais elle en exprime peu. Certaines régions d’idées lui sont comme interdites ; il est des mouvemens qu’elle ne peut se permettre, faute de muscles et d’haleine. Plus tard, elle aura trop de métier, pour le moment c’est l’art même qui lui manque. Entre l’abus des périodes et les phrases hachées vers par vers, entre le luxe de la rhétorique et l’indigence du langage enfantin, il est un juste mélange de richesse et de simplicité, de naïveté et de puissance, moyen terme admirable qui fait les grands écrivains. Par malheur, quand vient