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REVUE DES DEUX MONDES.

dans Saint-Romain de Blaye le preux Roland, le fidèle Olivier et le brave archevêque.

Charles ne veut plus s’arrêter en chemin ; il ne prendra repos qu’à Aix, sa grand’ville. L’y voici parvenu, et tout aussitôt il mande par messagers dans tous ses royaumes et provinces les pairs de sa cour de justice pour faire le procès à Ganelon.

Mais, en entrant dans son palais, il voit venir à lui Aude, la belle Aude, la gente demoiselle. « Où est Roland, dit-elle, Roland le capitaine, qui m’a juré de me prendre pour femme ? » Charles sent à ces mots se réveiller sa mortelle douleur ; il pleure à chaudes larmes : « Ma sœur, ma chère amie, il n’est plus celui dont tu me parles ! Mais je veux te donner en échange un époux digne de toi ; c’est Louis, je ne te puis mieux dire ; il est mon fils, il aura mes royaumes ! — Voilà, dit-elle, des paroles étranges ! Ne plaise à Dieu, ni aux saints, ni aux anges, que, Roland mort, Aude reste vivante ! » À ce mot, elle pâlit, se laisse choir aux pieds de Charlemagne : elle est morte à toujours ! Dieu lui fasse merci !

L’empereur se persuade qu’elle n’est que pâmée ; il lui prend les mains, la soulève ; la tête, hélas ! retombe sur l’épaule. Sa mort n’est que trop véritable, et quatre comtesses sont mandées pour la veiller toute la nuit et la faire enterrer noblement dans un moustier de nonnains.

Pendant qu’on pleure la belle Aude, pendant que Charles lui rend les derniers honneurs, Ganelon, chargé de chaînes, battu de verges, attend son jugement.

Les pairs sont réunis ; Ganelon comparaît devant eux ; il se défend subtilement : « Je me suis vengé, dit-il, mais je n’ai point trahi ! » Les juges se regardent et penchent à l’indulgence. « Sire, disent-ils à l’empereur, laissez-le vivre ; il est bon gentilhomme ; sa mort ne vous rendrait pas Roland, votre neveu, que jamais nous ne reverrons. » — Charles leur dit : « Vous me trahissez tous ! » — « Sire, s’écrie un d’entre eux, Thierry, frère de Geoffroy d’Anjou, ne vous troublez ainsi. Moi, je condamne Ganelon, je le dis traître et parjure ; je le condamne à mort. S’il a parent qui m’ose démentir, j’ai cette épée pour lui répondre. »

Aussitôt Pinabel, l’ami de Ganelon, brave, alerte et vigoureux, accepte le défi. L’empereur ordonne le combat. Aux portes d’Aix, dans la prairie, les deux champions, bien confessés, bien absous et bénis, leur messe ouïe et leur épée au poing, se mettent en bataille. Dieu lui seul peut savoir quelle en sera la fin.

Pinabel est vaincu, et devant cet arrêt de Dieu tous les barons s’inclinent ; tous ils disent à l’empereur : « Ganelon doit mourir ! »

Ganelon meurt du supplice des traîtres : il est écartelé.