Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
839
LA CHANSON DE ROLAND.

Olivier monte sur un grand pin, regarde à droite dans le vallon touffu, et voit venir la horde sarrasine. « Compagnon ! crie-t-il à Roland, là-bas, du côté de l’Espagne, quel tumulte, quel vacarme ! Dieu ! que de blancs hauberts ! que de heaumes flamboyans ! Pour nos Français, quelle rude rencontre ! Ganelon le savait, le traître, le félon !

— Paix, Olivier, répond Roland, il est mon beau-père ; n’en dis mot. »

Olivier met pied à terre : « Seigneurs barons, dit-il, de ces païens je viens de voir tel nombre qu’homme ici-bas n’en a jamais tant vu ! Une bataille nous arrive, telle qu’il n’en fut point d’autre ! Demandez à Dieu le courage ! » — Et les Français répondent : « Malheur à qui s’enfuit ! Pas un de nous pour mourir ne vous fera défaut !

— Roland, mon compagnon, dit le sage Olivier, ces païens sont en nombre, et nous sommes bien peu. Croyez-moi, sonnez votre cor ; l’empereur l’entendra et ramènera l’armée. — Me prenez-vous pour fou ? dit Roland : voulez-vous qu’en notre douce France je me perde d’honneur ? Laissez faire Durandal, laissez-la frapper ses grands coups, se tremper de sang jusqu’à la garde. Tous ces païens sont morts, je vous le garantis !

— Roland, mon compagnon, sonnez votre olifant : que l’empereur l’entende et nous arrive en aide ! — Dieu me garde de cette lâcheté ! Comptez sur Durandal, vous la verrez mettre à mort les païens.

— Camarade Roland, sonnez votre olifant : l’empereur l’entendra, et, j’en réponds, il reviendra ! — À Dieu ne plaise, répond encore Roland : nul ici-bas ne pourra dire que j’aie corné pour des païens ! Jamais pareil reproche ne sera fait à ma race.

— Quel reproche ? Que voulez-vous qu’on dise ? Ces Sarrasins sont si nombreux que tout en est couvert, les vallons, les montagnes, les landes et les plaines. Je viens de la voir, cette innombrable armée, et nous ne sommes qu’en faible compagnie ! — Mon courage en grandit, dit Roland. Dieu ne souffrira pas, ni ses anges non plus, que par moi notre France perde sa renommée ! Sire compagnon, mon ami, ne me parlez plus de la sorte. Nous tiendrons pied ; pour nous seront les coups : notre empereur le veut. Dans ces soldats qu’il nous a confiés, il n’est pas un poltron ; il le sait. Notre empereur nous aime parce que nous frappons bien. Frappe donc de ta lance, et moi de Durandal, ma bonne épée que Charles m’a donnée ! Si je meurs, qui l’aura pourra dire : C’était l’épée d’un vaillant ! »

À ce moment, l’archevêque Turpin pique son cheval, gravit une éminence, et, appelant à lui les Français : « Seigneurs barons, dit-il, notre empereur ici nous a laissés ; pour lui, nous devons bien mourir. Souvenez-vous que vous êtes chrétiens. La bataille s’approche, vous le voyez : les Sarrasins sont là. Appelez vos péchés, criez à Dieu merci ; je vous absoudrai pour la guérison de vos ames. Si vous mou-