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lui ? Est-il d’un autre Turoldus, son fils ou son neveu, bénédictin de l’abbaye de Fécamp ? Celui-ci accompagna Guillaume en Angleterre, lui rendit de grands services et devint, après la conquête, abbé de Malmesbury, puis de Peterborough. Nous serions charmé pour notre part que la chanson de Roland fût son œuvre, que ses vers eussent été médités, composés dans notre grande abbaye normande : ce serait un souvenir de plus qui peuplerait ses nobles voûtes. Mais, si ingénieux que soient les rapprochemens qu’invoque ici M. Génin, nous ne saurions être plus affirmatif sur ce point que sur les autres. Sans doute un trait de lumière semble sortir, comme il le dit, de ce fait rapporté par Gunton, que, dans l’armoire aux manuscrits de la cathédrale de Peterborough, furent anciennement découverts deux exemplaires d’un poème en français sur la guerre de Roncevaux (de Bello valle Runciæ, Gallice), sans doute il n’est point impossible que l’un de ces exemplaires soit venu s’enfouir à Oxford ; mais, si bien tissues qu’elles soient, les conjectures ne deviennent pas vérités. Le seul fait vraiment établi, selon nous, c’est que l’auteur, sinon du poème primitif, du moins du texte d’Oxford, devait être Normand. Les Normands sont, pour lui, les premiers soldats du monde ; il le dit à deux reprises. Trouvez ailleurs qu’en Normandie un poète qui eût ainsi décerné le prix de la vaillance ! Quel Picard ou quel Champenois eût fait aux siens cet affront ? Turoldus est donc, à n’en pas douter, compatriote de Guillaume ; dès-lors M. Génin nous semble avoir raison de l’appeler Theroulde. Cette traduction toute normande n’a rien qui choque nos oreilles, et c’est à tort assurément qu’on l’a si fort critiquée.

Nous voici parvenu au terme de ces controverses, de ces explications, de ces détails philologiques par lesquels il nous fallait passer comme par un préambule nécessaire. Nous avions hâte d’en sortir ; maintenant nous sommes en face du poème lui-même ; il n’est plus question de chercher d’où il vient, il s’agit de savoir ce qu’il vaut. Tâchons d’en pénétrer les rustiques beautés, la naïve grandeur. Nous n’éprouvons qu’un embarras : comment parler d’une œuvre que personne n’a lue, que personne ne peut lire, hormis quelques savans ? Une simple analyse pourra-t-elle en donner l’idée ? À peu près comme un squelette peut tenir lieu d’un portrait. C’est une traduction qu’il faudrait, une traduction claire et fidèle.

Pourquoi ne pas emprunter celle de M. Génin ? Ce n’est pas faute de la trouver bonne. M. Génin excelle dans cet art malaisé de serrer de près son modèle, d’en reproduire exactement le tour, l’allure et l’esprit. Malheureusement, par un caprice d’érudit renouvelé de Paul-Louis Courier, caprice qu’il justifie et colore tant bien que mal, M. Génin, dans cette traduction, ne s’est pas servi de notre langue d’aujourd’hui, il a pris celle d’Amyot. Qu’il ait habilement tenu cette ga-