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jusqu’à ces lois du conquérant, promulguées, comme on sait, en 1069. Ici, nous le reconnaissons, la conformité du langage est complète, sauf quelques exceptions provenant surtout des différences inévitables entre la prose et les vers. Aussi M. Génin nous semble-t-il inattaquable lorsqu’il se réduit à prétendre que le texte d’Oxford n’est pas une œuvre du XIIe siècle et que c’est au XIe qu’il appartient.

Quant à démêler, entre l’an 1000 et l’an 1100, l’instant précis qui l’a vu naître, c’est impossible à notre avis. La chronologie du langage, dans ces temps reculés, n’est pas moins incertaine que celle des arts, et en particulier de l’architecture. Autant on est à l’aise, une fois venu le milieu du XIIIe siècle, pour apprécier, à chaque période de vingt-cinq à trente ans, les changemens qui s’introduisent, d’un bout de la France à l’autre, dans les conditions de l’art de bâtir, autant cette tentative est infructueuse et chimérique tant que dure le XIe siècle : tel monument de cette époque nous semble avoir été construit longtemps après tel autre, qui fut pourtant bâti en même temps, mais dans un autre point du territoire, dans des lieux soumis à d’autres influences ou non encore accessibles à certains accidens de la mode et du goût. Il en est ainsi du langage : jusqu’au règne de saint Louis, il varie selon les lieux encore plus que selon le temps ; ce qui semble un archaïsme n’est bien souvent qu’un dialecte, et, pour se hasarder à dire quel est l’âge d’un mot, il faut d’abord être bien sûr de savoir quel est son pays.

Nous nous garderons donc de décider si ces vers du manuscrit d’Oxford sont vraiment ceux qui furent chantés à Hastings ; nous nous bornons à dire que, philologiquement parlant, ils peuvent avoir été écrits aussi bien un peu avant qu’un peu après le règne de Guillaume. Quant à savoir si cette version du chant de Roncevaux est bien la version primitive, le premier jet du poète, sans additions, sans remaniemens ; si les développemens un peu épisodiques qui en remplissent la dernière partie n’autorisent pas le doute à ce sujet, prononce qui voudra ! Nous ne sommes certain que d’une chose, c’est que cette version est la plus ancienne de celles qui sont aujourd’hui connues. Si elle n’est pas la première, elle doit être du moins assez voisine de celle qui serait son aînée.

Reste un autre problème dont il faut aussi dire un mot. Quel est l’auteur de la chanson de Roland ? Le nom de Turoldus, qui apparaît au dernier vers, est-il la signature du poète, comme le croit M. Génin, ou simplement celle d’un copiste, comme le supposent d’autres érudits ? Si la première hypothèse est admise, et nous la croyons plus probable, qu’était ce Turoldus ? Est-ce lui qui figure parmi les personnages ode la tapisserie de Bayeux ? Il y eut un Turoldus qui fut précepteur de Guillaume-le-Conquérant et qui mourut en 1035 : le poème est-il de