Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

artiste n’a su exprimer comme lui les austérités de la vie claustrale ; nul n’a su comme lui draper comme lui la chappe de l’archidiacre, l’aube ou le surplis du prêtre, et dérouler avec une majesté plus terrible les bruns replis de la robe du moine et du manteau de l’anachorète. La collection que nous examinons comprend vingt tableaux de Zurbaran ; c’est cinq fois plus que les musées de Madrid n’en renferment. Plusieurs de ces tableaux faisaient partie de la série de compositions commandées par le marquis de Malagon pour le cloître des pères de l& Merci chaussés de Séville, représentant l’histoire de saint Pierre de Nolasque. Deux tableaux de cette série, l’Apparition de saint Pierre apôtre à saint Pierre de Notasque et le Songe de saint Pierre de Nolasque, à qui un ange indique le chemin de Jérusalem, sont aujourd’hui au musée de Madrid. Un Martyre de saint Pierre faisait partie de la collection de M. Aguado. Les tableaux du maréchal Soult appartenant à la même série sont au nombre de trois. L’un nous montre saint Pierre de Nolasque siégeant au milieu du chapitre de Barcelone, un autre les Funérailles d’un Évêque, le troisième le Miracle du Crucifix. Les Funérailles d’un Évêque sont une composition dans ce genre terrible. C’est l’image de la mort avec sa froide immobilité, les regrets qu’elle inspire, le recueillement dont on l’entoure, les hommages suprêmes qu’on lui rend. Le Miracle du Crucifix est peut-être le meilleur des tableaux de Zurbaran. La composition est des plus simples : un frère franciscain debout dans sa cellule, vêtu de la robe grise de l’ordre, soulève un rideau, découvre un crucifix où Jésus est représenté mourant sur la croix, et le montre à plusieurs moines qui l’accompagnent. Un fauteuil, une table, quelques rayons chargés de livres recouverts en parchemin tel est l’ameublement de la cellule. Le calme de ces personnages, la foi qui anime leurs regards, l’austère simplicité de leurs vêtemens, rappellent les meilleures compositions de Lesueur, avec lequel Zurbaran a plus d’un point de ressemblance, et qu’il surpasse cette fois en vigueur.

Saint Antoine anachorète et Saint Laurent revêtu de ses habits sacerdotaux et s’appuyant sur le gril, instrument de son martyre, sont deux compositions du style le plus grand et le plus fier. Zurbaran peignit ces tableaux pour le couvent des Mercenaires déchaussés. Une série de compositions moins importantes nous montre le talent de cet artiste sous ses faces les plus variées. Nous signalerons, comme les deux points les plus extrêmes, le Chartreux contemplant une tête de mort et l’Ange Gabriel. Le chartreux a sans doute été peint dans la chartreuse de Xérès, lorsque, vers 1633, Zurbaran exécuta les peintures qui la décorent et qu’il serait curieux d’examiner à côté des tableaux de Lesueur. C’est une étude de petite dimension qui représente un moine vêtu de blanc, les yeux fixés sur une tête de mort qu’il tient entre ses deux mains. Son capuchon porte ombre sur son visage incliné vers la tête de mort, et qu’on ne fait qu’entrevoir, et la lumière qui vient d’en haut sculpte les plis de son ample robe blanche. Rien de plus simple, mais aussi rien de plus énergique et de plus profondément triste que cette peinture monochrôme. C’est l’idéalisation du chartreux, ce mort vivant dont la cellule est le cercueil et qu’un blanc suaire enveloppe. L’Ange Gabriel, au contraire, c’est l’emblème de la vie à venir et de la céleste béatitude. Zurbaran l’a représenté sous la figure d’un adolescent dont le gracieux visage est encadré de cheveux d’un blond doré. Ses beaux yeux sont levés au ciel. Il s’avance allègrement, portant sur l’épaule une petite baguette