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muet. Ce peintre, qui visita l’Italie vers le milieu du XVIe siècle et qui a étudié, sous Titien, a su néanmoins rester original. Son style, à la fois simple et grand, a quelque chose de la sublime familiarité des romanceros. Son coloris, où les procédés vénitiens se combinent avec l’austère simplicité des vieux maîtres nationaux, a une sorte de rude et fantastique énergie qui fait de cet artiste lui peintre tout-à-fait à part. Son tableau d’Abraham devant les Anges est l’un de ses ouvrages les plus renommés. Abraham vient de reconnaître les trois divins messagers ; il s’est jeté à leurs pieds, et leur offre l’hospitalité. Sara les considère avec un naïf étonnement, et n’ose joindre sa voix à celle de son époux. Les trois anges sont debout, vêtus de tuniques semblables. Ils n’ont pas d’ailes ; mais leur belle stature, leur attitude si noble et la douce majesté de leurs regards annoncent des êtres plus qu’humains. Il n’est pas jusqu’aux lueurs mystérieuses dont s’éclairent les personnages qui ne donnent à cette composition un caractère surnaturel. Palomino appelle Navarette le Titien espagnol, et il y a sans nul doute une certaine analogie entre ce peintre et l’auteur des Disciples d’Emmaüs ; mais il y a aussi dans ces anges une réminiscence des plus directes du Christ de Léonard de Vinci. Un historien de la peinture espagnole nous apprend que, le 31 août 1576, le roi Philippe Il fit compter à Navarette 500 ducats d’or pour son tableau d’Abraham. Navarette le peignit trois ans avant sa mort, qui eut lieu en 1579. Un des tableaux de cet artiste représente un jeune homme d’une physionomie rude et triste, à la chevelure épaisse et crépue. Ses lèvres sont ombragées d’une légère moustache ; son regard est fixe, plein d’un feu sombre, et une taie couvre en partie la prunelle gauche. C’est le portrait de Fernandez de Navarette peint par lui-même. Cette peinture, d’une extrême franchise, rappelle Vélasquez, que Navarette a devancé de plus d’un demi-siècle.

Les compositions de Ribeira exposées à la salle Lebrun sont au nombre de sept. Quatre d’entre elles, la Délivrance de Saint Pierre, le Saint Sébastien, le Portement de Croix et la Sainte Famille, peuvent être rangées au nombre de ses meilleurs ouvrages. Les deux premiers tableaux sont dans la manière vigoureuse du maître et rappellent les violens effets du Caravage. La Sainte Famille est exécutée dans un tout autre système et doit être de l’époque où Ribeira, séduit, par la suavité du coloris du Corrège, modifia son style qu’il s’efforça d’adoucir et de rendre plus châtié. Ribeira, cette fois, s’est refusé ces brusques contrastes d’ombre et de lumière qui lui sont familiers et auxquels la plupart de ses compositions doivent leur effet si puissant. Les chairs sont en pleine lumière, les ombres sont transparentes et dorées, et cependant les figures ont un merveilleux relief qu’elles doivent à une richesse d’empâtement qu’on ne saurait trop admirer.

Plusieurs compositions de Roelas, ode Juan Joanès, fils de Vincent Joanès, de François Pacheco, d’Herrera le vieux et de Ribalta comblent, avec les Ribeira, l’intervalle qui sépare l’ancienne école de l’école du XVIIe siècle. La Cène de Ribalta, l’un des meilleurs peintres de l’école de Valence, doit être la première pensée de la Cène qu’il exécuta dans cette ville pour le maître-autel du collège du Corpus Christi. C’est une charmante composition, d’un coloris plus varié que savant, et qui rappelle les vivantes esquisses des grands maîtres italiens. Le Saint Basile d’Herrera le vieux ne présente aucune de ces réminiscences