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pour réviser et adoucir les condamnations prononcées à la suite du 2 décembre. Les hommes chargés de cette mission de clémence et d’observation tout à la fois, on le sait, étaient le général Canrobert, le colonel Espinasse et un conseiller d’état, M. Quentin Bauchart. Chose singulière ! Ce sont les soldats, peu accoutumés à s’effrayer outre mesure, qui semblent avoir ressenti la plus vive impression du mal ; c’est le commissaire civil qui semble écarter le plus volontiers les signes redoutables. Les résultats effectifs de ces missions laissent apercevoir quelque chose de cette différence d’impressions. Sur 4,070 condamnations dans les départemens du centre, le général Canrobert a prononcé 727 graces ou atténuations de peine ; dans le midi, sur 4,000 condamnations, il n’y a eu que 200 graces et 100 commutations, tandis que dans le sud-est, visité par M. Quentin Bauchart, le chiffre des commutations ou des graces s’est élevé à 2,424. Le rapport le plus remarquable peut-être est celui de M. le colonel Espinasse ; il respire une certaine franchise militaire qui ne déguise rien, qui ne dissimule pas même ce triste symptôme, — l’impopularité de la clémence. Ce que dit M. le colonel Espinasse, le général Canrobert le dit aussi. Ni l’un ni l’autre, nous devons le constater, n’y mettent la finesse de M. Quentin Banchart, qui croit devoir rejeter ces sévérités extrêmes de l’opinion sur ce qu’il nomme les « anciens partis. » Comment d’ailleurs concilier ces dispositions terrifiées et rigoureuses des anciens partis avec l’attitude que le commissaire extraordinaire leur attribue d’un autre côté, — attitude de dissidence et d’hostilité qui serait l’espoir manifeste du socialisme dans sa défaite ? Voici des gens bien effrayés au commencement d’un rapport qui deviennent à la fin bien téméraires ! Au fond de cette dernière observation de M. Bauchart, peut-être y a-t-il une de ces vérités assez peu neuves qui deviennent méconnaissables parfois en subissant certaines transformations. Oui, évidemment, si la société n’était point divisée, si les élémens conservateurs qu’elle contient étaient unis et compactes, le socialisme serait moins dangereux, ce qui veut dire, en d’autres termes, que si la société était bien portante, elle offrirait infiniment moins de prise au mal et aux contagions. Il faut savoir gré sans doute à M. Quentin Bauchart de cette vérité, qui n’était peut-être point à découvrir. Il est un peu plus difficile de croire que si le socialisme est véritablement et complètement vaincu, comme on l’affirme, les anciens partis soient disposés à faire quoi que ce soit qui puisse le relever de sa défaite. À vrai dire, c’est là la question de savoir dans quelles limites le socialisme est vaincu : il est impuissant et désarmé comme force organisée et violente ; comme maladie morale, il n’a point disparu en un jour, et l’action matérielle même seule n’y peut rien. C’est une étrange illusion de tout rejeter sur les anciens partis ; c’est une explication qui a le suprême inconvénient de ne rien expliquer. Ce qu’on nomme les anciens partis, ce n’est autre chose, à tout prendre, que l’ensemble des forces conservatrices de la société, malheureusement divisées dans des crises successives, constituées sous des formes diverses, et résumant dans une mesure différente les traditions, les instincts et les besoins de notre pays. Nous ne nous dissimulons en rien ce qu’il y a de difficile à combiner ces élémens dans un effort commun ; mais enfin n’est-ce point là l’œuvre de conciliation propre à une époque comme la nôtre, — œuvre où il y a bien assez des difficultés réelles sans y joindre la légèreté. des jugemens, et où la modération est la première loi dans l’exercice d’un pouvoir