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ses jeux enfantins, comme elle oublie la métaphysique au milieu de ses cris et de ses rires ! « Le matin, aussitôt qu’il est habillé, il manifeste le désir d’entrer dans notre chambre ; alors il tire nos rideaux avec ses petits bras, m’embrasse violemment, passe ses mains sur ma figure, rit, montre ses dents, fait grand tapage, s’applaudit lui-même et crie bravo. Puis, lorsqu’il a montré tout son petit savoir-faire, il demande comme récompense d’être attaché sur la chaise et réclame ses jouets. Tout cela l’occupe fort, néanmoins quelquefois il nous appelle et nous demande de chanter, afin d’animer la scène ; quelquefois il me demande d’embrasser sa main, ce qui le fait beaucoup rire alors. Enchanteur est ce rire d’enfant… » Où est maintenant le transcendantalisme, où sont les anciens triomphes ? Tout cela est bien oublié, semblerait-il. Il sera beaucoup pardonné à Marguerite, parce qu’elle a été femme une fois dans sa vie. À ce moment, sous l’influence des doux sentimens qui sont tardivement entrés dans son cœur, la fièvre s’apaise, tout ce qui était en elle desséchant et malsain disparaît, elle renaît à une vie nouvelle, et elle trouve le bonheur même au sein de la pauvreté et de l’inquiétude pour l’avenir. Elle a appris maintenant à aimer autre chose que ses qualités propres ; les arts, la nature, tout ce qui lui était si cher n’apporte plus en elle que des impressions mesurées ; ce sont choses qui deviennent pour elle ce qu’elles doivent toujours être : un brillant accessoire et les ornemens de la vie. Sa force de domination ne s’applique plus comme autrefois d’une façon tyrannique et exclusive, elle ne s’allie plus à la vanité et à l’orgueil ; elle s’applique d’une manière pratique, utile, et s’allie à la charité et à l’humanité. Elle exerçait sur les violentes natures italiennes la même puissance d’attraction que sur les esprits délicats et cultivés de ses amis. Plusieurs anecdotes sont là pour le prouver : tantôt elle arrête un fratricide ou un meurtre qui allaient s’accomplir, tantôt elle fait, par sa seule présence, tomber les éclats de la colère ou de la jalousie. La force d’ame dont elle était douée était bien une force naturelle, on le voit, non factice, faite pour s’exercer dans tous les pays, sous toutes les latitudes, et non pas seulement dans une coterie littéraire ou un salon américain à demi illettré ; mais toutes ses qualités excellentes ne se révélèrent pures de tout alliage que lorsqu’un sentiment naturel vint remplacer ce sentiment personnel et voulu qu’elle avait gardé toute sa vie.

Marguerite était trop heureuse, et elle devait payer, dirait-on, de son bonheur le prix de toutes les erreurs de son intelligence et de son caractère. Ce bonheur venait trop tard, et il était trop en contradiction avec toute sa vie passée pour pouvoir durer. Sa vie était dévoyée par ce bonheur même et devait s’éteindre. Marguerite le sentait, et elle avait dans l’esprit que l’année 1850 serait pour elle une