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comme pour agrandir la faible distance qui le séparait d’eux et se rapprocher à sa façon des blancs ; est-ce sous le fouet d’un de ces inexorables parvenus qu’a jailli ce conseil de modestie :

Toute bois
C’est bois ;
Mais mapou
Pas cajou.

« Tout bois est bois ; mais le mapou (arbre sans valeur) n’est pas l’acajou. »

L’esclave n’échappait pas plus que les maîtres aux épigrammes de l’esclave. Celui qui n’avait pas su s’ingénier pour paraître avec luxe dans les fêtes périodiques de l’atelier risquait, par exemple, d’être accueilli par ce refrain railleur :

Cabrite qui pas malin
Mangé nen pié morne.


« Le cabri qui n’est pas malin broute au pied du morne[1]. »

C’est un de ces pauvres diables qui dut dire pour son excuse :

Capaud pas gagné chimise :
Ous vlé li poté calçon ?

« Le crapaud n’a pas de chemise (le nécessaire), et vous voulez qu’il porte caleçon (le superflu) ! »

S’il était beau garçon, il ne tenait d’ailleurs qu’à lui de se faire nipper par quelque fringante négresse aux dépens d’un amant blanc et au risque, pour celle-ci ; de s’entendre décocher cette raillerie sur la parasite tendresse de son protégé :

Lèpe dit aime ous
Pendant li ronge daite ous.

« La lèpre dit qu’elle vous est attachée, mais pour vous ronger les doigts. »

La chanson ajoutait au besoin et en guise de moralité :

Gambette ous trouvé nen gan chimie,
Nen gan chimin ous va pède li.

« Le couteau que vous avez trouvé sur le grand chemin, — sur le grand chemin vous allez le perdre. (En d’autres termes : Ce qui vient par la flûte s’en va par le tambour.) »

Le couple chansonné pouvait prendre à son tour l’offensive et dire aux médisans :

Ou vlé batte pai
Pour prend robe li.

« Vous voulez battre le curé pour lui prendre sa robe (c’est la jalousie qui vous fait parler) ; »

  1. Au pied des mornes, la pâture est plus maigre et plus épuisée qu’au sommet.