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il y a dans le fait de cette union quelque chose qui reste très obscur, très difficile à comprendre, sans qu’on puisse bien préciser à quoi tient cette obscurité. Le mari de Marguerite s’appelait Giovanni Angelo Ossoli ; c’était le plus jeune des fils du marquis d’Ossoli, noble Romain qui, après avoir joui d’une fortune considérable, était alors à peu près ruiné. À l’époque où le jeune marquis fit la connaissance de Marguerite, son père vivait encore, et le mariage, selon toute probabilité, ne fut conclu qu’après sa mort. Ses trois frères étaient tous trois au service du pape, l’un dans l’administration, les deux autres dans les gardes nobles ; de toute sa famille, lui seul avait des opinions républicaines. Il avait environ trente ans et par conséquent était de beaucoup plus jeune que Marguerite. « Je ne sais, dit Marguerite dans une lettre à sa mère, s’il m’aimera toujours autant, car je suis la plus vieille, et dans quelques années la différence sera encore bien plus sensible qu’aujourd’hui ; mais la vie est si incertaine, et il est tellement nécessaire d’accepter les douces choses avec leurs limites, que je n’ai pas pensé qu’il valût la peine de calculer avec trop de curiosité tous ces détails. » Le caractère du marquis d’Ossoli était doux et soumis, à ce qu’il semble, ses manières affectueuses et timides, son intelligence n’était pas d’une grande élévation, et ses connaissances étaient bornées. Qu’il ait été attiré par le charme de Marguerite, cela peut être supposé facilement ; mais comment Marguerite a-t-elle consenti, elle autrefois si impérieuse, à unir sa destinée à celle d’un homme dont la nature, sans être vulgaire, n’était cependant pas très élevée ? On le devine difficilement. Probablement le vague désir que nous avons vu chez elle se manifester plusieurs fois opéra ce miracle. Cette union fut, selon toute apparence, accomplie par une explosion des sentimens éternels de l’humanité, et son cœur se vengea ainsi de l’orgueil qui l’avait tant opprimé.

Ce n’est pas que le jeune marquis paraisse dans ce récit indigne de la tendresse qu’il inspira à Marguerite ; mais, à coup sûr, à toute autre époque, elle eût probablement jeté à peine les yeux avec indifférence sur celui à qui elle unit sa vie. Du reste, dans l’expression de ses sentimens pour son époux, on ne remarque que de la tendresse et pas la moindre flamme. Cependant il y a un autre sentiment qui éclate, à cette époque de la vie de Marguerite, avec une véhémence, et l’on peut dire avec une violence singulière : c’est l’amour maternel. — Que devient mon enfant ? Le retrouverai-je encore vivant ? Aura-t-il échappé aux balles des soldats ? Sa nourrice ne l’aura-t-elle pas abandonné ? — Telles sont ses plus grandes inquiétudes durant le siége de Rome, et la destinée de la république l’alarme certainement moins que la destinée du petit Angelino. Et lorsque Rome est prise, lorsque le marquis d’Ossoli et Marguerite ont cherché un asile à Florence, comme elle surveille