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empiète quelquefois sur le domaine chrétien, elle a par contre d’étranges rivalités à souffrir sur l’Olympe nègre. Parmi les citoyens directement importés de la Côte-d’Ivoire, parmi les représentans-nés de l’orthodoxie originaire, plus d’un va, chaque année, sacrifier des brebis devant les sources jaillissantes, — apparemment à quelque vagabonde naïade qui, du vallon de Tempé à la vallée du Nil, des sources du Nil au Niger, du Niger à l’Océan, sera venue finalement s’égarer, sous pavillon négrier, vers les prosaïques bords du Boucan-Brûlé ou de l’Anse-à-Cochon. L’une des superstitions favorites du pays pourrait encore au besoin rappeler le culte des dryades. Les gerçures et les nuances des écorces d’arbre dessinent parfois une figure drapée, laquelle devient peu à peu, sous les regards croyans qui l’étudient, une image de la Vierge. On se le dit, et les populations voisines accourent adorer l’arbre, bien convaincues que la Vierge l’habite en corps et en ame[1].

Les funérailles, qui sont l’épisode le plus pompeux de la vie haïtienne, mettent simultanément à contribution, du moins dans les campagnes, toutes les pratiques et toutes les croyances de cette complexe mystagogie. Quand la mort a visité une counouque (chaumière du pays), les parens font appeler un vieillard du voisinage, autant que possible compère ou parrain du défont, et, de préférence à tout autre, celui qui cumule les dignités de chantre d’église et de sorcier africain. Dans ce dernier cas, le vieillard arrive accompagné des principaux initiés de sa secte, et, après avoir eu soin de déposer en dehors de la chambre mortuaire la gourde où loge son fétiche, il immole un poulet, peut-être proche parent du coq d’Esculape, dont le sang est répandu autour du lit. Selon le rite égyptien et pythagorique, la ligne circulaire est de rigueur dans cette aspersion comme dans la danse finale qu’exécutent les initiés en chantant un chœur africain qui fait la part des dieux cafres. Suivent un silence et une immobilité de mort. Puis la chambre est ouverte aux profanes, qui en avaient été momentanément bannis, et le curé, si l’on a réclamé son assistance, prend la

  1. Dernièrement un de ces arbres fut signalé à Port-au-Prince. Le vicaire de la paroisse vint le consacrer à la première réquisition, et une magicienne de l’endroit, qui avait découvert l’image, s’installa à côté pour recevoir les offrandes de la population. L’abondance de la recette suscita malheureusement la jalousie d’une autre magicienne, laquelle prétendit qu’ayant eu l’honneur de causer avec la Vierge, elle avait beaucoup plus de droits sur ces offrandes que l’intrigante qui l’avait simplement vue. Ces dames se prirent aux cheveux devant l’arbre en litige, et la population perplexe a suspendu ses offrandes et ses visites. Un peu avant ou un peu après, on envoya du canton de Mirabelais à Soulouque une écorce de palmiste où apparaissait une image analogue. L’empereur ne l’eut pas plus tôt considérée, qu’il demanda une belle nappe blanche à l’impératrice, la déploya sur le parquet, y plaça l’écorce et se prosterna devant. Sa majesté très chrétienne, comme l’a appelée un curé du pays, est bien persuadée que la présence de cette image neutralisera l’invisible et malfaisant fétiche enfoui, comme on sait, dans les jardins du palais.