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cartes, soit la fumée d’écorces aromatiques brûlant sur une pierre plate, à côté d’un grand baquet plein d’eau de rivière où il a préalablement exprimé le suc de certaines plantes en prononçant d’inintelligibles mots. Voilà, dans ses deux accessoires traditionnels, la fumigation et l’eau, le rite des initiations et des évocations indo-égyptiennes, qui reparaît plus clairement encore dans le cercle magique, dans l’extase convulsionnaire, le trépied inspirateur[1], les libations de sang, le serment et la ténébreuse orgie des mystères vaudoux.

Le sabbat du moyen-âge européen prête aussi parfois à ces cérémonies son lugubre attirail de chats, de poules noires et d’ossemens humains. Comme au sabbat, certaines danses du rituel vaudoux sont exécutées, la nuit, par des femmes nues[2], mais autour du symbole guèbre du feu, et l’aigre cri de la chouette égarée, qui s’est laissé choir en passant dans la flamme, va réveiller chez les assistans transis d’effroi un vague écho des augures gréco-romains. Il n’est pas jusqu’à l’Océanie qui n’apporte son tribut à l’éclectisme vaudoux. Chaque initié a sa loi, espèce de tabou qui consacre un point déterminé de son corps, point qu’on ne peut toucher ou laisser toucher sans s’exposer aux plus redoutables malheurs[3]. Contre ces sortes de présages et cent autres qui assaillent jour et nuit les croyans, il y a d’ailleurs mille préservatifs. Le plus sûr est de se faire droguer, mystérieuse opération qui rend invulnérable, — ou de suspendre dans un endroit apparent de sa maison un vieux fer à cheval, talisman qui protège la plupart des boutiques de Port-au-Prince, et qui, comme les wangas et les maman-bila[4], doit être d’origine arabe, Sinon juive, — ou enfin d’aller faire des neuvaines à l’une des innombrables vierges dont la piété des premiers colons a peuplé les solitudes de Saint-Domingue. La madone de pierre qui reçoit ces hommages risque un peu néanmoins de les partager avec la pensive couleuvre qui s’enroule à ses pieds ; car le grand esprit vaudoux est justement une couleuvre, réalisation vivante du signe hiéroglyphique de l’idée de Dieu. La couleuvre, à son tour, aurait fort affaire de se montrer exclusive : si elle

  1. La boite où est enfermé le dieu vaudoux fait à Haïti l’office de trépied. Voir, pour tout ce qui se rattache à ces rites africains, la série publiée dans la Revue, — L’empereur Soulouque et son Empire, — notamment la livraison du 15 décembre 1850.
  2. C’est par ces sortes de danses qu’on préludait, dans les camps de Biassou et Jeannot, à l’incendie et au massacre. Lucien rapporte que les anciens Éthiopiens exécutaient, aussi une danse particulière avant d’en venir aux mains.
  3. C’est à cause de cette pratique que le prêtre et la prêtresse vaudoux sont appelés papa-loi et maman-loi, tandis que ceux des autres sectes s’appellent papa et maman tout court. Il n’est pas du reste impossible que la loi soit une lointaine réminiscence de l’astrologie judiciaire, qui soumettait chaque partie du corps humain à l’influence d’une planète déterminée, et qui donnait par suite une importance exceptionnelle à la partie qui relevait de la planète de nativité.
  4. Talismans formés de petites pierres calcaires.