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moyennes lire ses journaux, patroner ses accusés, accepter ses candidats, et mettre à son service leurs richesses, leurs paroles, leurs votes et leurs inoffensives intentions.

La loi du 5 février 1817 avait été expérimentée trois fois, et, à chaque renouvellement partiel, des résultats de plus en plus alarmans avaient constaté cette tyrannique influence. Les premières élections avaient décimé les rangs des hommes de 1815 pour les remplacer par les partisans de l’ordonnance du 5 septembre ; les secondes avaient mis les ministériels aux prises avec les indépendans, et les dernières venaient de donner aux ennemis de la maison de Bourbon une victoire tellement complète, qu’il devenait impossible dose dissimuler le sort que l’entraînement des uns et la faiblesse des autres réservaient à la dynastie et aux institutions elles-mêmes. Au lieu d’accueillir les candidats patronés par les ministres d’une royauté qui venait de faire tant pour elles, les classes moyennes leur préféraient des hommes dont le nom était presque toujours une menace lorsqu’il n’était pas un outrage. Des membres de cette chambre des cent-jours, sur laquelle pèsera le double reproche d’avoir provoqué l’invasion et désarmé le seul bras qui pût la repousser, de vieux drapeaux extraits, après vingt ans d’oubli, du garde-meuble révolutionnaire, voilà ce que la France électorale députait vers Louis XVIII pour l’assister dans sa généreuse tentative ! C’était en nommant Manuel et Grégoire que l’on venait en aide à un gouvernement modéré contre les mauvais vouloirs de la cour et que l’héritier de la couronne, contre les inquiétudes chaque jour croissantes de l’Europe et les prophétiques menaces jetées au pied du trône par les plus vieux serviteurs de la royauté ! Admirable politique qui naquit la veille du 10 août pour finir au lendemain du 24 février !

Les élections de 1819 avaient rendu impossible l’application prolongée du système dont le souvenir attache à la mémoire du roi Louis XVIII un honneur impérissable. Pratiqué avec loyauté par des ministres habiles, ce système avait échoué devant de tristes et incurables habitudes d’esprit. Organisée en sociétés secrètes, descendue dans la jeunesse vies écoles et dans les rangs de l’armée, la révolution minait le sol et préparait une catastrophe. Sous cette mystérieuse influence, les diadèmes des rois pâlissaient comme des astres près de s’éteindre ; le poignard de Louvel atteignait le sang de saint Louis à sa source, et une vaste insurrection militaire, dont le mobile était à Paris, dominait en 1820 l’Europe méridionale de Naples à Lisbonne. Les cabinets qui avaient poussé la royauté dans la voie des concessions l’entraînaient vivement dans celle de la résistance, tant le danger devenait imminent, tant les résultats de la politique royale semblaient en accuser le principe. Les ministres qui avaient si énergiquement repoussé toute modification à la loi électorale durent, vaincus par l’évidence du péril,