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la dynastie s’enveloppaient de la constitution comme d’un manteau, et les royalistes peu sympathiques à la charte y trouvaient des armes pour une opposition que leur indignation rendait ardente et leur talent redoutable. La France devenait aussi grande par la parole qu’elle l’avait été par les armes, et rendait l’Europe tributaire de ses idées comme de ses arts et de ses plaisirs. L’aisance générale suivait une progression ascendante comme la fortune de l’état. Celui-ci avait triomphé d’une épreuve sans exemple en acquittant à jour fixe avec une religieuse fidélité toutes les charges imposées par l’invasion et toutes celles que lui avaient léguées les gouvernemens antérieurs. Aussi, malgré l’inscription de 50 millions de rentes nouvelles à son grand-livre, son crédit dépassait celui des jours les plus glorieux de notre histoire. Les capitalistes enrichis par la négociation de nos emprunts, que se disputaient toutes les places de l’Europe, faisaient refluer vers l’industrie des bénéfices non moins féconds pour le pays que pour eux-mêmes, et la France avait repris à ses vainqueurs les profits de leur victoire en attirant toute l’Europe opulente dans son sein par la douceur de ses mœurs et de son soleil. Son crédit politique s’était relevé avec sa fortune. Commencée au lendemain de Waterloo, sur la carte fameuse qui retranchait l’Alsace et la Lorraine du territoire français, la négociation, un moment suivie par les ministres d’un roi sans armée et sans sujets, n’avait pu prévenir de cruelles exigences : le noble duc de Richelieu avait dû, plus mort que vif, apposer son nom au traité du 20 novembre ; mais, en retrouvant un gouvernement régulier et en accomplissant avec scrupule les plus douloureux engagemens, la France n’avait pas tardé à imposer au monde le respect d’elle-même. Dès 1817, la charge de l’occupation militaire avait été réduite, grace aux efforts d’un ministre respecté de l’Europe ; quelques mois plus tard, une transaction très favorable intervenait sur les créances personnelles des sujets étrangers, dont la liquidation avait fait long-temps peser sur le trésor la menace d’une charge colossale ; enfin, au mois d’octobre 1818, le petit-fils de Louis XIV, dans l’effusion de sa joie française et royale, pouvait écrire au petit-neveu du grand cardinal : « J’ai assez vécu, puisque j’ai vu mon pays libre et le drapeau français flotter sur toutes les villes françaises. » A partir du congrès d’Aix-la-Chapelle, la France, admise dans les conseils des grandes puissances, reprenait sa place dans le monde et retrouvait un avenir digne de son passé.

En trois années, la restauration avait donc accompli le double prodige de féconder un sol épuisé par la guerre et de transformer un peuple de soldats en un peuple de citoyens ; elle avait enseigné la liberté constitutionnelle à une génération née dans l’anarchie et grandie sous le régime militaire ; enfin, tandis qu’elle engageait contre l’esprit de cour une lutte non moins vive que contre l’esprit de révolution,