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de Marguerite ; mais on ne sait comment expliquer cet enthousiasme pour un homme dont le fanatisme est tout d’action.

Après avoir parcouru la France et l’Angleterre, Marguerite abandonna les amis avec lesquels elle était venue en Europe, et, les laissant continuer leur voyage à leur fantaisie, elle s’installa en Italie pour n’en plus sortir. Là, sa vie devait trouver un dénoûment, et elle le pressentait, dirait-on. Elle fit de l’Italie sa patrie adoptive ; les Italiens étaient son peuple chéri, on ne voit guère pourquoi, peut-être parce qu’ils avaient en trop les qualités dont elle n’avait pas assez, les qualités objectives au lieu de ces qualités subjectives que possédait Marguerite. De son propre avis, elle était la seule parmi tous les Américains de sa connaissance qui aimât les Italiens. « Mes compatriotes, dit-elle, préfèrent l’Allemand avec sa loyauté et sa lenteur, ou même le Russe avec sa servilité de gentleman, à mes chers Italiens. » Elle séjourna successivement à Rome, à Milan, à Florence, se faisant partout de nouveaux amis, parmi lesquels nous devons mentionner la marquise Arconati Visconti de Milan, qui paraît lui avoir été singulièrement attachée. C’est à Rome que la révolution de février la surprit ; dès-lors elle ne quitta plus cette ville qu’à de très rares intervalles, et elle put suivre dans tous ses détails les péripéties de la révolution romaine. Elle avait amassé des matériaux pour écrire une histoire des derniers événemens de l’Italie, matériaux qui furent perdus dans le naufrage où elle trouva la mort. Nous n’avons, sur le rôle qu’elle joua alors, sur ses relations avec Mazzini, aucun renseignement bien positif et bien précis. Tout ce que nous voyons, c’est qu’avant la fuite du pape Pie IX, à mesure que les événemens se déroulent, Marguerite sent un nouveau besoin naître en elle, le besoin d’agir, le désir de n’être pas simple spectatrice. Après la fuite du pape, ce désir semble un peu apaisé, et elle parle comme une personne très directement intéressée à tout ce qui se passe. Nous aurions désiré dans ce journal et cette correspondance datés de Rome plus de renseignemens, d’anecdotes, de faits. C’est à peine si, çà et là, on trouve à en glaner quelques-uns. Les événemens sont pourtant peints quelquefois avec vivacité. Voici par exemple le tableau de Rome le jour où l’on y apprit l’expulsion des Autrichiens de Milan. « Je vis les armes de l’Autriche traînées dans les rues et brûlées sur la piazza del Popolo. Les Italiens s’embrassaient les uns les autres et criaient : Miracolo, providenza ! Le tribun Ciceronacchio entretenait la flamme en y jetant des fagots ; Adam Mickiewicz, le grand poète polonais, depuis long-temps exilé de son pays, regardait à l’écart, tandis que des femmes polonaises ramassaient tous les petits débris égarés dans les rues et venaient ensuite les jeter au feu. Les hommes dansaient, et les femmes pleuraient de joie le long des rues. Les jeunes gens couraient tous s’enrôler et marcher à la frontière : leurs