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la restauration ; elle assurait à la royauté l’adhésion chaleureuse des hommes d’élite qui, durant le long cours de la révolution française, avaient obstinément poursuivi le succès de la même idée, groupe dédaigné et comme dissout aux jours de crise, mais auquel revient toujours la France lorsqu’elle a cessé ou d’être lasse ou d’avoir peur. Pour ce parti, dont M. de Lally-Tollendal marquait alors l’extrême droite, Mme de Staël et Benjamin Constant l’extrême gauche, la charte de 1814 était l’Ithaque politique à laquelle abordait enfin la France après vingt-cinq ans de tourmentes.

Mais une école s’est élevée sur les ruines du gouvernement parlementaire, qui, proclamant l’incompatibilité radicale de ce gouvernement avec le génie français, reproche amèrement au roi Louis XVIII d’avoir dévoyé sa patrie en y introduisant des institutions d’origine étrangère. Cette école prétend établir que toute participation active du pays à son propre gouvernement n’est pas moins contraire à ses traditions historiques qu’à ses dispositions naturelles, grosse découverte qui donne à nos annales une physionomie toute nouvelle ! Pour faire prévaloir la doctrine de l’initiative gouvernementale continue, il faut en effet biffer tout d’un trait et la monarchie des capitulaires, durant laquelle toute la race conquérante délibérait côte à côte avec son chef militaire dans les grands comices de la nation, et la monarchie des hauts barons, qui, de Hugues Capet à saint Louis, ne faisait du roi que le premier entre ses pairs. Il ne faut pas s’inquiéter davantage de cette monarchie des Valois qui vit les trois ordres, instrumens des grandes factions de cour, délibérer avec une violence qui rappelle nos plus mauvais jours ; il faut bien moins encore s’arrêter à cette monarchie de la ligue sous laquelle le pays, triomphant de la royauté, imposait au prince, qui pourtant s’appelait Henri IV, comme la condition obligée de son avènement au trône, le respect de sa foi populaire et la consécration du principe fondamental de la nationalité française. Ce passé-là doit être effacé de toutes les mémoires pour que la génération nouvelle demeure persuadée que la France n’a subsisté dans ses conditions normales qu’à partir du cardinal de Richelieu.

Prétendre que le peuple réputé l’initiateur de l’Europe doit demeurer dénué de toute initiative par rapport à lui-même, c’est là un paradoxe qui n’a pas même le mérite d’être spirituel. Si la nation la plus portée à poursuivre la réalisation immédiate de ses conceptions d’esprit était déclarée incapable d’intervenir activement dans le cours habituel et régulier de sa vie politique, ce serait la proclamer un instrument nécessaire et permanent de révolution, car la vapeur condensée n’a qu’une issue, l’explosion. Les conséquences morales du pouvoir absolu aux diverses périodes de notre histoire sont-elles, d’ailleurs, de nature à le faire envisager comme un instrument de conservation sociale ?