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pas été moins repoussé des murs de Paris par les cabinets alliés que par le sénat, le corps municipal et toutes les autorités constituées.

En raisonnant même dans l’hypothèse la plus contraire aux faits et en attribuant au roi Louis XVIII une plénitude de puissance qu’il était si loin de posséder, quel usage différent voudrait-on qu’il en eût fait ? Fallait-il prendre la France à la veille de 89, lui rendre ses notables, ses intendans, ses fermiers-généraux et ses offices de magistrature achetés à deniers comptans ? Singulier don de joyeux avènement pour la maison de Bourbon que de substituer le chaos où s’abîmait la France sous les ministères de MM. de Brienne et de Calonne à l’admirable système administratif et financier institué, par la constituante et développé par l’empire, et d’exhumer des études de procureurs le droit coutumier de nos trente-trois provinces pour remplacer le code civil ! Qu’était-ce que cette constitution historique dont on lui impute à crime de n’avoir pas rassemblé les débris à la manière de Cuvier restaurant un mastodonte à l’aide de quelques fragmens arrachés au flanc des montagnes ? Si l’on en excepte la loi de l’hérédité, qu’y avait-il de commun, au point de vue de l’organisation sociale, entre la monarchie féodale au XIIe siècle, la monarchie des états au XVe et la monarchie des parlemens au XVIIe ? Attendait-on de Louis XVIII que de sa pleine autorité il rayât de l’histoire tout le cycle révolutionnaire qui s’ouvre au lendemain de la séance du 23 juin par le serment du jeu de paume ? Mais se figure-t-on bien ce prince sans puissance et sans armée, rappelé par les grands corps de l’état sous des conditions déterminées, et qui commence par chasser ces corps et par convoquer des états-généraux afin de jeter avec eux la base d’une constitution ? L’idée des états-généraux implique celle de trois ordres, comme l’idée du triangle celle de trois côtés. La France de la révolution et de l’empire aurait donc vu s’élever tout à coup, au milieu de la stupéfaction publique, trois ordres distincts délibérant séparément sur le texte des cahiers des bailliages ! Dans ce pays, ivre d’égalité, où tant de glorieux paysans tenaient encore à la main les armes sous lesquelles s’était si long-temps courbé le monde, on aurait accepté comme une concession de la noblesse au tiers-état le droit de servir en commun la patrie ! De tels rêves ne comportent pas même une discussion. Que veut-on dire lorsqu’on accuse Louis XVIII d’avoir désorganisé le pouvoir par l’introduction du principe parlementaire et sanctionné toutes les ruines faites par la révolution, au lieu de reconstituer la société ? Voudrait-on qu’il eût proclamé l’illégitimité des ventes des biens nationaux pour restaurer la morale, qu’il eût fait du clergé un ordre politique pour restaurer la religion, qu’il eût rétabli le droit d’aînesse pour restaurer la famille, et rendu à la noblesse le monopole des fonctions publiques pour restaurer la hiérarchie ? Le gouvernement royal, emporté en moins de dix mois par la bourrasque des cent jours sur le seul soupçon de rêver une très faible partie de ces