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Elle arracha les varechs dont le barillet était enveloppé ; le marin le souleva.

— Par ma foi ! il est plein, dit-il avec une vivacité qui ne lui était point ordinaire ; il faut voir ce que c’est.

Et, ouvrant le couteau retenu à sa boutonnière par une tresse de cuir, il le glissa entre les douvelles noircies. Un liquide doré jaillit presque aussitôt sous ses doigts en répandant un parfum qu’il reconnut.

— Dieu nous sauve ! c’est du rhum ! s’écria le marin, dont le visage s’était éclairci ; tu as trouvé là un trésor !… Vite, vite, prends garde, Georgi, que je descende le baril ; j’ai peur qu’il n’ait quelque avarie, et qu’il ne me sombre entre les mains !

Il l’avait soulevé avec la sollicitude d’un père pour son enfant ; il gagna la pièce qu’il habitait, et prit toutes les précautions nécessaires. Il commença toutefois par déguster la précieuse liqueur afin d’en reconnaître la qualité. Après avoir vidé son verre à petits coups, il fit claquer sa langue contre son palais, et toutes les rides de son visage semblèrent sourire.

— Du vrai Jamaïque ! murmura-t-il ; cela doit venir de quelque navire anglais… Ces gredins-là ne boivent jamais que du meilleur !

Il remplit de nouveau son gobelet, et recommença à boire en parlant entre chaque gorgée.

— Quelle chaleur ! quel goût ! Sur ma vie ! pâlotte, sans toi le baril dormirait encore au fond de la mer… C’est le bon Dieu qui m’a fait te rencontrer l’autre soir sur la grève et t’emmener ici… J’y ai gagné une provision de rhum… et le Provençal d’avoir encore un navire sous ses pieds… car, grace au ciel ! la bisquine n’a rien eu.

— Rien ? répéta Georgi.

— À preuve qu’elle vient de sortir du port et qu’elle navigue vers la passe, reprit le vieux gardien.

La pâlotte courut à l’étroite croisée, et Simon lui indiqua le navire dont on avait quelque peine à distinguer la voilure aux lueurs du soir. La rafale qui contrariait sa marche s’était insensiblement transformée en une de ces brises sèches, brusques et continues, auxquelles les marins donnent le nom de brises carabinées. La mer, tourmentée, avait pris la couleur glauque et l’aspect froid qui, indiquent les longues tenues de vent. Aux derniers rayons du jour qui s’éteignaient vers le couchant succédait la clarté terne d’une nuit à la fois sans nuages et sans étoiles. Maître Lavau fit observer que la bisquine courait bord sur bord sans paraître gagner beaucoup ; elle, devait employer une partie de la nuit à doubler le phare et à chercher la passe.

Tout en continuant à remplir et à vider son verre, il expliqua à Georgi les difficultés de cette recherche, dans laquelle la moindre erreur pouvait conduire au naufrage. Le rhum avait donné au taciturne gardien